Sombre projet qui en aura intrigué plus d’un depuis son annonce en 2014, Scorn, le FPS développé par le studio serbe Ebb Software, fondé en 2013, tire ses influences des travaux de Zdzisla Beksinski et du mythique Hans Ruedi Giger. Ce dernier n’est autre que l’artiste derrière l’esthétique des films Alien (1979) et Prometheus (2012), tous deux réalisés par Ridley Scott, ainsi que le design du xénomorphe.
Les productions de HR Giger sont telles qu’elles ont influencé bon nombre de gens, du cinéma de David Cronenberg en passant par des jeux comme Gradius, R-Type ou plus récemment la licence Axiom Verge, pour ne citer qu’eux. En voulant lui rendre hommage, au même titre qu’à Beksinski, les développeurs d’Ebb Software ont clairement voulu nous immerger pleinement dans leurs univers glauques et fascinants. Nous faire ressentir des choses peut-être plus palpables. Immersion, c’est bien le mot d’ordre du projet Scorn.
Condition de test : Nous avons joué sur Xbox Series X via le Game Pass. Nous avons atteint les crédits de fin en plus ou moins 6 heures de jeu, et ce sans se précipiter.
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Scorn c’est une virée dans un Enfer fait de métal, de chair et de sang. Un FPS à l’ambiance horrifique, totalement ancré dans le courant Biopunk (dérivé du Cyberpunk et centré sur des thématiques liées à l’humain et aux biotechnologies), à l’image d’un Akira (1988) pour citer une des œuvres références. Le titre est à voir comme une aventure, une expédition, entrecoupée de quelques énigmes et de puzzles à base d’éléments à récupérer afin d’alimenter des machines, ouvrir des portes, etc. Une approche classique, inscrite dans une avancée linéaire et un level design simple, mais efficace. Mais là où le soft sort des sentiers battus, c’est qu’il nous laisse à la merci de son univers.
Aucune information, pas de tutoriel, c’est le strict minimum en terme d’indication de jeu. Que ce soit pour des touches, la finalité de votre quête, le pourquoi du comment de l’univers et de son fonctionnement technologique, ou le fonctionnement d’une énigme, rien ne vous sera donné. C’est à vous d’y mettre de votre personne, à l’instar du protagoniste qui subira les pires sévices. Il en devient nécessaire de prendre le temps de s’attarder sur les environnements, d’essayer d’en comprendre des rouages. Il n’y a pas à dire, le cerveau travaille dans Scorn qui nous incite à être attentif. Ce faisant, le jeu s’impose par son immersion. La beauté des décors est saisissante, ça fourmille de détails, le moindre couloir est soigné. Cela participe grandement à l’ambiance.
Tout semble vivant, organique, le sang et les fluides visqueux en tout genre suintent du sol au plafond. Chaque paroi métallique est habitée par d’horribles substances, quand ce ne sont pas clairement des chaines de créatures indescriptibles et malaisantes qui font office d’ornements, ou de murs. Sur ce point, et pour le peu de monstruosité qui compose le bestiaire, la patte Beksinski ressort. En terme de direction artistique, on a rarement vu quelque chose d’aussi foisonnant et maîtrisé. D’autant plus que chaque mécanisme et machine que l’on pourra utiliser affiche un lien, une cohérence avec l’univers dépeint ici. C’est pourquoi le fait d’être livré à soi-même n’est pas déconnant. Cela pourra rebuter, mais le game design est suffisamment bien pensé pour que cela fonctionne sans casser l’immersion.
Le Festin Nu
La peur n’est pas un des moteurs du jeu, qui mise sur son ambiance quasi exempte de toute musique, la part belle étant donnée au sound design. Quand ce ne sont pas les crissements assourdissants de mécanismes qui s’enclenchent, ce sont des bruits indescriptibles qui nous assaillent. Une créature ? Ou seulement le décor qui craque et respire ? L’atmosphère est rapidement palpable. Ce n’est pas de l’oppression ni de la tension, encore moins de la peur. Mais une sorte de fascination déroutante, passant en partie par l’esthétique de l’œuvre. Car, à l’image des travaux des maîtres dont le titre revendique ses inspirations, c’est aussi ça qui en ressort. Des créations étranges dont on peine à saisir pleinement le sens et qui résonnent en chacun de nous différemment.
Il faut déjà accepter de voir de la beauté dans cette horreur cosmique. L’immersion est la grande force de Scorn, d’autant plus en se réappropriant de tels travaux. Mais l’intelligence d’Ebb Software, c’est bien d’en avoir fait un jeu vidéo de ce genre. S’il y a bien une différence fondamentale entre cinéma et jeu vidéo, c’est la question de l’interactivité. Devant un film, aussi immersif soit-il, on reste passif devant les évènements narrés. Nous sommes spectateurs. À l’inverse, des joueurs, joueuses qui sont logiquement actifs. Nous participons à l’action. Les développeurs l’ont bien compris, c’est pourquoi c’est ici pertinent d’être laissé à l’abandon. Où seul notre cerveau pourra nous aider à trouver un chemin et peut-être du sens à ce qu’il se passe.
Il y a bien un côté vitrine qui ressort du soft, c’est indéniable. Malgré tout, la passion et la minutie du travail entrepris par l’équipe créative ont, semble-t-il, été suffisamment en phase avec leurs ambitions et leurs capacités. Et offrir une expérience vidéoludique bien ficelée. On le voit avec le level design. Simple et efficace nous l’avons dit, mais pourquoi ? Parce que, pour nous en tout cas, quand bien même sa linéarité, celle-ci n’est aucunement préjudiciable. Tout est sagement orchestré pour que nous n’ayons pas à nous perdre ou à courir n’importe où, du moins pas assez longtemps pour casser le délire et rendre le voyage pénible. Reste qu’il est difficile de décrire le soft comme ludique.
Pour la seconde partie du jeu, on reste sur la même logique. On parle d’une deuxième partie, parce qu’il y a bien une fracture notable durant l’aventure. De surcroît, Scorn devait initialement se diviser en deux segments distincts. La partie deux donc, arbore une esthétique, dans ses décors et architectures, qui délaisse un peu plus l’influence Beksinski au profit de HR Giger. Ce qui va se traduire par une aura plus mythologique à Scorn, mais une mythologie cosmique. Comme peut l’être la franchise Alien, ou les créations de Lovecraft. C’est dans la dernière zone du jeu que la direction artistique prend un autre virage, parvenant à insuffler un renouveau dans son atmosphère.
Flesh in the shell
De plus, nous le disions, la présence plus explicite de l’influence des œuvres du papa d’Alien apporte une autre dimension à l’ensemble. L’Eros, dimension érotico-pornographique omniprésente chez HR Giger réapparait subtilement. Une signature des travaux de l’artiste et qu’on aurait aimé plus présente, même si l’absence est sans doute justifiée. Le mélange opéré dans le jeu, entre les deux styles artistiques prédominants, peut en être une cause. Il suffit de s’attarder sur quelques bâtisses et ornementations sculpturales pour être saisit d’un certain vertige, moment précis où notre cerveau s’est vu envahir de questions. Pour très peu de réponses. Un sentiment plaisant et qui hante encore des heures après avoir terminé l’aventure. Malheureusement, on ressent un manquement évident sur le final.
On aurait apprécié un effort narratif. Pas besoin de tout dire, mais de quoi construire une piste de réflexion plus viable. Ceci étant, cette seconde partie, quand bien même le renouveau dans ses situations de jeu et dans ses environnements, l’irruption de l’action ne passe pas très bien. Non pas que cela casse vraiment l’ambiance, on reste sur quelque chose de peu invasif. Le véritable problème est dans les mécaniques de combats. Le jeu n’a pas été pensé pour du shoot, il n’y a qu’à voir la première arme utilisée pour éliminer une créature. Notre personnage est trop restreint dans ses déplacements, en plus d’être plutôt rigide, et cela complique terriblement les affrontements. Déjà, parce qu’on ne prend pas de plaisir lors de ces moments, et ce peu importe l’arme utilisée, mais surtout parce que c’est frustrant. Notre vie descend en flèche au moindre assaut et la visée manque de précision, en plus de soucis de hitbox ennemies.
Ajoutez à cela des checkpoint systématiquement mal placés, et de banals passages peuvent devenir irritants. En terme de quantité c’est raisonnable, mais compte tenue du peu de véritables énigmes à résoudre, on aurait aimé que la balance penche davantage sur ces dernières. Car malgré une trop faible présence, elles sont réussies. Ni facile ni difficile, une fois la première passée et le fonctionnement du jeu compris, on est plus dérouté par l’absence d’indications. Mais on réfléchit, on prend son temps, rythme que le jeu nous impose d’ailleurs plus ou moins. Peut-être un peu de manque de folies créatives dans les énigmes également, on aurait pu imposer quelque chose de plus douteux. A l’image de l’utilité de certaines machines qui n’auraient pas dépareillé chez les Cénobites de Clive Barker.
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