C’était au cours des Game Awards 2020 que SEASON: A letter to the future se dévoilait pour la première fois. Un road-trip à vélo, une promesse de liberté, d’exploration et de rencontres hautes en couleur, le tout dans un style graphique coloré éclatant, il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité du public indépendant.
Développé par Scavengers Studio, aidé par un coup de pouce de la part de PlayStation en terme de communication, le titre indé s’est ensuite fait désirer pendant deux ans, avant de sortir le 31 janvier 2023 sur PlayStation 5, PlayStation 4 et PC via Steam et Epic Games Store.
Nous avons pu tester le jeu afin de voir si les espoirs suscités par ses brèves apparitions effectuées au fil des ans se concrétisent manette en main. Et ce qui est certain, c’est que nous faisons face à une production bien particulière.
Conditions de test : Nous avons testé SEASON sur PS5 une première fois durant 13 heures, en enregistrant un maximum d’éléments et en complétant entièrement le journal. Une deuxième partie a été rushée pour un total d’1h30 de jeu.
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ToggleUn voyage pour enregistrer le monde
Ce matin, comme tous les autres, Estelle se réveille dans sa chambre, sent l’odeur du petit déjeune préparé par sa mère, d’humeur chantante. Mais ce genre de matin, Estelle n’en connaîtra plus, car elle va quitter son village natal pour partir à l’aventure. Un dernier moment partagé avec sa mère, après un rituel visant à lui constituer un talisman pour la protéger au cours de son voyage, et elle s’en ira.
C’est aux joueuses et joueurs de décider quels objets précieux Estelle mettra dans la marmite, afin d’alimenter ce talisman. Autant d’objets que de souvenirs importants pour la mère, qui en plus de voir sa fille unique partir après le décès de son mari, voit ces fragments du passé quitter son esprit.
L’entrée en matière se fait déjà tout en poésie et en émotion, introduit la mécanique de choix et applique un des thèmes qui rythment l’histoire de SEASON : l’attache au passé que nos cinq sens permettent d’entretenir.
La suite, Estelle va pouvoir la tracer en notre compagnie, en accomplissant une mission aussi claire que lourde à porter : enregistrer le monde, sa vie, ses secrets, sa diversité, dans le but de garder une trace de la saison en cours.
Par saison, ici, on parle davantage d’ères que les traditionnels printemps, été, automne et hiver. Chaque saison est donc teintée d’événements marquants et celle que nous traversons en a fini depuis quelques années avec la guerre, mais s’apprête à connaître une catastrophe climatique.
Nous allons donc traverser un monde qui porte les traces de cette menace, rencontrer les dernières personnes encore présentes ici et là et immortaliser un maximum d’éléments symbolisant cette époque, au sein d’un journal. La visite du village de Caro, là où Estelle a passé toute sa vie, représente un peu le tutoriel de l’aventure et nous laisse appréhender ses différentes mécaniques, notamment liées à l’équipement embarqué par notre héroïne.
Cher journal
Munis d’un appareil photo, d’un magnétophone et d’un vélo, à nous de capturer la vie sous ses nombreuses formes. Le coassement d’une grenouille, le chant d’un oiseau, d’anciens distributeurs automatiques, des constructions artistiques ou sacrées, tout ce qui peut attirer notre œil mérite d’être enregistré ou pris en photo.
Une fois rassemblés, ces éléments doivent être répertoriés sur les pages du journal. Chaque double-page correspond à un secteur du jeu traversé et au bout de quatre ou cinq éléments collés sur celle-ci, le secteur est considéré comme complété. Estelle nous partage alors une réflexion faisant office de conclusion et de nouveaux autocollants sont disponibles pour décorer la double-page.
D’autres types de pages correspondent à une sorte de questionnement ou de mini-enquête où il faut enregistrer des éléments bien précis pour y répondre. S’attarder particulièrement sur celles-ci et, plus globalement, garnir un maximum son journal nous aide à comprendre ce monde qui nous entoure, tout en laissant s’activer notre propre interprétation et créativité.
En effet, le journal se remplit assez librement. On peut choisir de redimensionner et faire pivoter les photos, textes et autres sons découverts par nos enregistrements, et établir une composition à notre goût, en comblant le plus possible les espaces ou, au contraire, en faisant respirer l’ensemble.
De plus, en cas de nombre important d’éléments, difficile d’établir un rendu harmonieux. Tout n’est pas forcément utilisé et l’agencement de nos pages découle donc de choix artistiques ou symboliques, selon la façon dont les lieux nous parlent. Ainsi, le résultat se révèle en quelque sorte unique, et il n’est pas rare d’y passer un certain temps lorsque l’on s’approprie l’expérience au sein de ce monde particulier.
L’aventure prend toute son ampleur une fois le troisième « niveau » terminé et la découverte de la vallée de Tieng. Principal lieu du jeu, relativement vaste et ouvert, que l’on peut traverser librement, la vallée offre, à l’image du jeu en général, un charme indéniable. Colorée et soignée, la direction artistique s’apprécie grandement au travers des très beaux environnements et panoramas dont nous pouvons être témoins, à parcourir à pied ou à vélo.
L’ambiance sonore n’est pas en reste, en proposant des pistes aux notes discrètes, mais surtout en s’exprimant organiquement grâce aux bruits de la nature, à l’écoulement de l’eau, aux cris d’insectes et d’animaux ou à la musique créée par le vent, soit en faisant danser les carillons, soit en sifflant au travers de constructions dédiées. Un sentiment d’apaisement fort agréable nous accompagne alors tout au long de l’aventure.
De la contemplation à la réflexion
S’il s’apprécie visuellement, ce monde nous intrigue aussi par les mystères qui le composent. On croise souvent des objets, des constructions, des temples, sous-entendant des pratiques ésotériques exercées par une frange de la population, et d’autres éléments encore plus énigmatiques encore, avec ces fleurs violettes, croisées un peu partout, desquelles émanent des souvenirs.
Nous l’avons évoqué, remplir le journal, ouvrir l’œil et tendre l’oreille participe à la compréhension de ce monde, de sa culture, et la voix off d’Estelle nous permet à la fois d’avoir son propre ressenti mais aussi une lecture parmi d’autres de ce qu’il s’est passé.
Dans le même temps, Estelle découvre pour la toute première fois des objets du quotidien dont la fonction et l’intérêt sautent à nos yeux. En résulte bien souvent une description de sa part, parfois naïve, souvent amusante et intéressante, elle qui n’a rien connu d’autre que son village jusqu’à aujourd’hui.
Ce mélange d’éléments mystérieux et familiers, couplé aux points de vue différents entre nous et Estelle, souligne le caractère purement subjectif qu’impose l’observation d’un monde et sa traversée. Par ce voyage, SEASON aborde beaucoup, entre autres, les thèmes de la guerre, la religion ou encore de la famille, via le souvenir et le lourd poids du passé.
Est-il nécessaire de se rappeler de la moindre chose, aussi futile soit-elle, écho évident à la mission d’Estelle ? Ne sont-ce pas justement ces instants les plus simples qui demeurent les plus précieux ? Ou alors faut-il préférer oublier certains pans douloureux de sa mémoire ou de l’Histoire, au risque de répéter un jour les mêmes erreurs ? Le titre nous renvoie souvent à notre propre perception de ces questions-là, en nous amenant à y réfléchir et sans jamais nous imposer une réponse catégorique.
Un aspect du jeu appuyé par les rares rencontres avec les individus croisés sur le chemin. Une poignée de personnages nous livrent leurs histoires, nous demandent notre avis sur telle ou telle question tout en faisant l’objet des seules « quêtes principales » du jeu. Certains nous laissent même leur faire écouter des enregistrements ou regarder des photos afin de livrer leur sentiment sur l’instant. Ces rencontres se vivent donc comme de belles et enrichissantes parenthèses.
La très grande majorité des dialogues ou des pensées d’Estelle sont exprimés de manière très poétique, peut-être parfois à l’excès, ce qui nous donne l’impression que tout est poésie. C’est un point de vue tout à fait valable, mais le titre y perd sans doute un peu d’authenticité ou de naturel, lui qui veille si bien à ce que nous vivions simplement les choses.
Quelques sorties de route ?
Derrière ce voyage relaxant, subsiste hélas plusieurs couacs qui sont susceptibles de nous faire sortir de sa tendre immersion. Premièrement, si l’écriture joue souvent habilement avec les mots et les idées, le doublage ne suit que rarement.
En français tout du moins, l’interprétation d’Estelle, voire d’un ou deux personnages supplémentaires, s’avère correcte, mais le jeu d’acteur des autres protagonistes reste très inégal, pour ne pas dire bancal. On vous conseille alors la version anglaise ou japonaise, de meilleure facture.
Ensuite, bien que la liberté d’exploration soit réelle, surtout dans la vallée de Tieng, elle reste cantonnée le plus souvent aux chemins balisés. Dès que l’on sort un petit peu de la route ou des petits chemins, la caméra bégaye au niveau des arbres, des hautes herbes, et autres éléments de décors. D’ailleurs, lorsque ceux-ci sont plutôt chargés, il arrive de subir des chutes de framerate. Rien de dramatique mais dommage tout de même, surtout sur PS5.
L’histoire, et la façon dont elle se dévoile, peut également rebuter. Clairement, le charme de SEASON et son propos ne sont valables que si l’on investit et se laisse porter. De fait, seules les interactions avec les personnages font avancer le scénario, lequel peut se clôturer en 5-6 heures, et bien moins encore si on rushe les dialogues.
Cela équivaut à dire que la constitution du journal, point-clé du titre et de son histoire, est paradoxalement purement optionnelle. Il est tout à fait possible de ne rien prendre en photo, ou de ne pas enregistrer le moindre bruit, hormis les rares fois où on nous y oblige. L’intérêt est évidemment inexistant, mais certains regretteront que la progression ne soit pas davantage matérialisée, autrement que par l’enrichissement personnel à composer le journal selon nos envies.
Un reproche qui risque de toucher aussi la mécanique de choix. Dès les tout premiers instants, on nous montre qu’il est possible de choisir librement certaines réponses de dialogues. Sauf que malheureusement, les différences entre les conséquences possibles se révèlent assez maigres.
Même à l’occasion des choix qui semblent être les plus importants, seules quelques lignes de dialogues varieront, le jeu étant assez malin pour pouvoir afficher les mêmes cutscenes avec simplement les propos de la voix off à changer.
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