Il y a des jeux qui marquent les esprits, parfois à un point tel qu’ils deviennent le porte étendard de leur support. C’est le cas de Super Mario 64 concernant la Nintendo 64, ou encore de Gran Turismo et autre Final Fantasy VII pour la PlayStation première du nom. La Dreamcast a, quant à elle, eu droit à une bibliothèque moindre en comparaison à sa grande concurrente, la PS2, mais ne fut pas en reste pour autant. Bien sûr, console de SEGA oblige, la postérité se souviendra des aventures du hérisson bleu, avec Sonic Adventures. Mais s’il y a bien un titre, ou plutôt deux, que l’on retient tout particulièrement, ce sont Shenmue et sa suite. Une licence imaginée par le créateur de Virtua Fighter, monsieur Yu Suzuki, dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un véritable visionnaire ou d’un fou furieux étant donné son ambition démesurée. Toujours est-il que Shenmue est en passe de nous revenir avec un troisième volet développé indépendamment, concrétisé grâce à une campagne de financement participatif, et prévu pour l’année prochaine. En attendant, SEGA compte bien surfer sur la vague d’intérêt qui s’abat sur cette courte série, en sortant le 21 août une compilation regroupant les deux premiers jeux sur PC, PlayStation 4 et Xbox One.
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ToggleParesseux jusqu’à l’os
À l’époque de sa sortie, en décembre 2000 sur le sol européen, Shenmue est une véritable claque. Beau à en pleurer, et pourvu d’environnements vivants procurant une impression de liberté rarement atteinte jusqu’ici, le titre de Yu Suzuki dispose en prime d’une bande-son sans fausse note, proposant de surcroît un doublage anglais intégral. Que demander de plus ? Bien entendu, il en va de même pour sa suite parue un an plus tard, qui jouit par ailleurs d’un level design plus fouillé, et se paye même le luxe de rendre ses décors plus vivants, avec plus de passants à l’écran. Clairement, les deux titres font cracher ses poumons à la Dreamcast, et même à la Xbox première du nom en ce qui concerne le second volet. L’ennui, c’est que, comme trop souvent avec les éditions remasterisées, cette compilation dite HD se révèle on ne peut plus paresseuse.
Comme trop souvent avec les éditions remasterisées, cette compilation dite HD se révèle on ne peut plus paresseuse.
Pour commencer, le travail effectué sur les graphismes est très loin de sauter aux yeux. D’ailleurs, il est possible de choisir entre le rendu d’époque et celui dit « haute définition », et la différence est à peine perceptible. En effet, revenir aux graphismes de 2000 ne rend les titres qu’un poil plus flous, et fait très légèrement baisser la distance d’affichage. En somme, le développeur a affiné les textures, et s’est visiblement arrêté là. On aurait par exemple apprécié que les jeux de lumières soient retravaillés… Quant à leurs bandes-son, Shenmue I & II seraient toujours agréables à l’oreille s’ils n’étaient pas minés par quelques grésillements, ou encore par des variations ridicules du niveau sonore. Il n’est pas rare que les doublages soient beaucoup trop bas en comparaison à la musique, ou que certains bruitages soient au contraire bien trop forts. Autant être clair, les premières minutes de jeu sont plutôt pénibles, et l’immersion n’en est que moindre.
Fort heureusement, les deux titres bénéficient désormais d’un format d’image en 16:9, ce qui n’est pas un luxe. Toutefois, les scènes cinématiques ont conservé le 4:3 d’époque… un détail qui n’est pas si dérangeant au début, mais qui finirait presque par le devenir à la longue. Enfin le pire reste encore à venir, puisque SEGA n’a tout simplement pas corrigé les bugs qui gangrenaient les jeux originaux. Ainsi, il n’est pas rare que Shenmue II souffre de ralentissements, parfois sévères, au même titre que le premier épisode, ayant heureusement moins de détails à afficher. Quant à leurs bandes sonores, elles souffrent par moments de soucis incompréhensibles, comme de bruitages qui disparaissent purement et simplement. Il arrive même que le son se coupe totalement, sans raison. On tâchera de se consoler en découvrant les doublages japonais du premier épisode, le petit plus de cette version.
Note : Au cours de notre test nous avons eu à composer avec une foule de bugs, principalement audio, qui semblent avoir pour la plupart disparu avec la mise à jour 1.01.
Vieillir, ça fait mal
Comme pour ses graphismes, Shenmue était un modèle d’ergonomie et d’originalité en matière de gameplay lors de sa sortie, malgré quelques menus détails perfectibles. Bien que le personnage de Ryo soit plutôt lourd à contrôler, les bonnes idées pullulent. Ainsi, les premières heures de jeu n’étaient pas des plus aisées, mais la patience était vivement récompensée, notamment par un système de combat bien pensé et jouissif, mettant l’accent sur la gestion intelligente de l’esquive.
On sent dès les premiers affrontements que le papa de Virtua Fighter est à la barre, et ce n’est clairement pas pour déplaire, quoique celui-ci n’est pas toujours très adapté aux affrontements à plusieurs. À coté de cela, les deux titres regorgent d’idées innovantes, à commencer par l’utilisation de QTE (ou Quick Time Event) renforçant l’immersion. Idem, beaucoup de choses peuvent être entreprises au cours des aventures de Ryo, avec notamment de nombreux mini-jeux plutôt bien conçus, et même des classiques de l’arcade à découvrir sur d’anciennes bornes. Yakuza s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de cet aspect annexe.
Il y a beaucoup d’activités annexes à essayer au cours des deux aventures, notamment une bonne quantité de mini-jeux, mais aussi des classiques de l’arcade comme Space Harrier.
Mais là encore, il y a un hic, puisque le développeur n’a pas cru bon de revenir sur le gameplay des deux épisodes. Ainsi, le personnage n’a jamais semblé aussi peu maniable, et les quelques imperfections du système de combat, notamment son manque de précision, sont toujours de la partie. Idem, la lourdeur du système de choix, heureusement amélioré dans le second volet, risque d’en rebuter certains, ceux-là même qui auront probablement du mal avec la progression in game. Parce que Shenmue ce n’est pas un jeu d’action, comme pourrait le laisser penser la présence du géniteur de Virtua Fighter, mais plutôt une sorte de simulateur de marche et de discussions, ponctué çà et là de baston et de QTE. Un mélange qui ressemble fort à du Yakuza, là encore, mais en plus mou, avec de surcroît beaucoup moins d’affrontements. Autant être clair, si à l’époque la majorité ne pestait guère contre cette recette très particulière, il va sans dire que les joueurs actuels devront certainement s’armer d’une patience infaillible pour espérer voir le générique de fin des deux épisodes.
Shenmue ce n’est pas un jeu d’action, mais plutôt une sorte de simulateur de marche et de discussions, ponctué çà et là de baston et de QTE.
Reste l’aspect RPG des deux softs, qui se révèle fort bien conçu. En effet, il est possible de faire évoluer son personnage et la force de ses coups, et ce de la manière la plus logique qui soit : en s’entraînant. Plus vous combattez, plus Ryo tape fort, et plus vous utilisez une technique, plus elle est efficace. Soit dit en passant, il est toujours possible de récupérer sa sauvegarde du premier dans le second, et ainsi conserver ses techniques et son inventaire. Par ailleurs, autant s’habituer assez tôt à aller s’entraîner régulièrement, car les deux jeux sont tributaires du temps, et chaque événement prend place sur un horaire plus ou moins précis. Ainsi, il faut parfois attendre un long moment avant de pouvoir faire avancer l’intrigue, et pour se faire mieux vaut être malin. Bien sûr, les bornes d’arcades sont notamment là pour ça. Fort heureusement, Shenmue II a amélioré cet aspect, en permettant de passer le temps jusqu’à un rendez vous dans certaines circonstances.
D’ailleurs, ce second volet n’a pas amélioré que cela, et il propose une aventure beaucoup plus agréable que son prédécesseur. Pourvu d’une difficulté plus ardue, ce qui faisait cruellement défaut à Shenmue qui n’opposait jamais vraiment de résistance, le titre a en plus amélioré ses séquences de QTE en les rendant plus longues et plus palpitantes. Quant à son espace de jeu, il est bien plus grand que la petite ville accessible par le passé, et regorge de choses à voir et à faire. Par ailleurs, dans le cas où l’on n’arrive pas à se retrouver, il suffit désormais de demander son chemin aux passants, bien plus avenants et utiles qu’auparavant. Clairement, que ce soit au niveau de sa mise en scène léchée, de l’intérêt de son propos, de son rythme qui a quelque peu gagné en intensité, ou de son gameplay vaguement amélioré, Shenmue II est en tout point supérieur au premier volet, qui servira en quelque sorte de mise en bouche un peu ennuyeuse. Mais toutefois nécessaire…
Bienvenue dans l’Asie des années 80
Deux jeux pour le prix d’un, c’est tout de même alléchant, surtout lorsque l’on connaît la mythologie qui plane autour de la série de Yu Suzuki. En effet, le bonhomme a conçu Shenmue pour être une très vaste histoire, s’étalant sur seize chapitres, jusqu’à un final qui s’annonce grandiose, si tant est qu’il soit révélé un jour. Tandis que le premier volet ne représente qu’un seul morceau de scénario, une sorte d’incipit un peu maladroit, le second traite quant à lui des chapitres deux à quatre. Et autant être clair, si la première plongée dans les aventures de Ryo Hazuki n’est pas des plus agréables, en raison d’un rythme soporifique et d’une trame qui peine à attiser l’intérêt pendant un temps, le second jeu est quant à lui parfaitement captivant. Matures, ces deux histoires montrent d’une belle manière l’évolution d’un personnage dont le cœur est de prime abord embrasé par le désir de vengeance.
Tout aussi intéressant, le monde de Shenmue regorge de personnages annexes parfois banals, mais souvent intrigants. Il est tout à fait possible de terminer les deux aventures sans prêter attention aux histoires parallèles de ces PNJ attachants, mais la grande force de l’oeuvre de Yu Suzuki réside justement dans le fait que l’on a très vite envie de s’investir pleinement. Cela peut passer par le simple achat d’un café à un sans abri, ou s’étaler sur plusieurs chapitres et représenter une véritable trame à part ; dans les deux cas, y participer ne sera pas vain, puisque cela permet d’en apprendre plus sur l’univers et les personnages qui le composent, ou bien d’obtenir une petite aide plus loin dans l’aventure.
Là encore, comment ne pas faire la comparaison avec Yakuza ? En dépit de tous les défauts cités précédemment, il est vrai que les deux titres sont de véritables monuments du jeu vidéo, en bonne partie grâce à leur histoire et leur mise en scène intemporelles. Et si cette édition remasterisée n’offre que peu d’améliorations, on applaudira toutefois la traduction française, qui ne commet quasiment aucun impair. Reste l’absence vraiment dommageable du Shenmue Passport et de la bande dessinée expliquant le voyage en bateau de Ryo… Je vous avais dit que cette édition était paresseuse !
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