Initialement sorti en juin 2005 sur le territoire européen, Shin Megami Tensei : Lucifer’s Call nous revient cette année dans une version remasterisée qui récupère son nom original. C’est donc un certain Shin Megami Tensei III : Nocture HD Remaster qui nous arrive le 25 mai sur PC, PlayStation 4 et Nintendo Switch. Une édition aux promesses modérées, dont le contenu n’est pas vraiment altéré, affichée de surcroît une cinquantaine d’euros. Malgré tout, pour les fans qui attendraient SMT V de pied ferme, et ils sont nombreux, alors cette parution peut sonner comme salvatrice. Mais qu’en est-il vraiment ?
Conditions du test : Nous avons passé près de soixante heures sur le titre dans sa version Nintendo Switch. Nous avons principalement joué en mode TV, mais avons aussi essayé longuement l’affichage portable. Cette session fut suffisante pour faire le tour du scénario, ainsi que d’une partie non négligeable du contenu annexe.
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ToggleRemise en contexte
Shin Megami Tensei : Lucifer’s Call, c’était un petit pari osé de la part d’Atlus. Première tentative de la licence en dehors du Japon, trois ans avant l’arrivée chez nous de Persona 3, elle s’émancipait de son numéro au profit d’un sous-titre difficile à expliquer. Ce qu’il faut probablement y comprendre, c’est que par peur qu’un troisième volet ne fonctionne pas chez nous pour la simple et bonne raison que nous n’avions jamais entendu parler de SMT, le développeur ou éditeur a préféré adapter le soft pour sa sortie européenne et nord américaine. Enfin, il ne s’agit que de conjectures.
Cela étant, il faut avouer que cette hypothèse rentre en corrélation avec la politique du développeur sur cette adaptation hors du territoire japonais. Non content de perdre son numéro, Shin Megami Tensei III voyait aussi disparaître l’un de ses personnages clés, remplacé par un certain Dante de Devil May Cry. Un personnage fort, qui parlait alors à beaucoup de joueurs PlayStation. D’autant que le troisième volet de la jeune série de Capcom débarquait à peine trois mois plus tôt dans nos vertes contrées. De quoi conférer à ce J-RPG inconnu un capital sympathie immédiat.
Alors bien sûr, cela ne s’est pas fait sans casse, ce que nous aborderons d’ailleurs un peu plus en détail dans quelques lignes. Mais la tentative restait intéressante, et a peut-être permis à cet épisode de convaincre un plus grand nombre de joueurs. Concernant Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster, le développeur a pensé à conserver Dante, tout en intégrant le personnage initial, anciennement exclusif à la version japonaise. Riche idée que voici, puisqu’elle nous permet de nous essayer à la version originale du soft, dont l’histoire est un brin plus cohérente.
Enfin, malgré les soucis que nous allons énumérer au cours de ces lignes, précisons que la volonté de la part de SEGA Atlus de proposer des versions remises aux goûts du jour d’anciens hits ne peut qu’être bien reçue. Espérons que, comme le teasait le PDG de l’entreprise il y a quelques mois, cela devienne une tendance un peu plus récurrente, notamment du coté des titres à l’origine développés par Atlus. De véritables remakes de SMT et sa suite ne seraient pas de refus, ou encore des portages Switch de SMT IV et de Apocalypse par exemple. Enfin, nous avons bien le droit de rêver.
Sombre et nébuleux à souhait
Shin Megami Tensei III nous propulse dans la peau d’un lycéen tokyoïte a priori banal, qu’il nous laisse le loisir de nommer. Alors que les premières minutes nous font déambuler dans les rues de la capitale japonaise, très vite la sensation que quelque chose ne tourne pas rond s’insinue dans notre esprit. Nous arrivons dans un hôpital complètement désert, seulement occupé par deux camarades de classe se demandant bien où est passée leur professeure prétendument alitée. Mais ce sera bientôt le cadet de leurs soucis, puisqu’une force maléfique s’apprête à renverser le monde extérieur.
Suite à une rencontre étrange, nous retrouvons notre professeure, qui fait visiblement partie d’une sorte de complot étrange visant à remodeler la planète. Ce qui ne tarde pas à arriver, sous nos yeux ébahis. Nous survivons à ce cataclysme sans trop intégrer comment, et nous nous réveillons affublés d’un pouvoir que nous ne pouvons comprendre pour le moment. Celui d’un demi-démon, capable de commander aux créatures malfaisantes peuplant ce Tokyo dévasté tournant autour de Kagatsushi, une sorte de lune aux pouvoirs extraordinaires et a priori démoniaques.
Ce qu’il faut retenir de ce préambule à l’histoire de Shin Megami Tensei III, c’est qu’il pose les bases de son ambiance singulière. Particulièrement nébuleux, le scénario de ce J-RPG est aussi très sombre, à l’instar de ses congénères. Ce qui ne l’empêche pas d’éviter intelligemment la facilité d’un contexte manichéen et binaire. On nous fait rapidement comprendre qu’un élu sera bientôt en mesure d’achever de détruire le monde, ou bien de le reconstruire. Et bien sûr, il s’agit du personnage principal. Un choix cornélien, qui mènera évidemment à des fins différentes.
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Malgré de grandes qualités d’écriture, portées par une excellente localisation française et des doublages anglais/japonais de bonne facture, plusieurs défauts sont à souligner dans cette aventure étrange. À commencer par le temps qu’elle prend avant de se lancer véritablement, nous laissant dans le flou pendant une bonne dizaine d’heures avant de gagner en consistance. On pourrait aussi pester contre le fait que nous faisons une fois encore face à un personnage muet, ce qui est une habitude dans la série, même du coté de son spin-off. Persona 5 n’y échappe pas !
Mais ce qui pose le plus problème, et il est dommage que les petits européens que nous sommes n’aient pas pu en prendre pleinement conscience il y a quinze ans, c’est le rôle de Dante dans l’histoire. Remplaçant Raidou, un personnage tout autant charismatique mais qui ne laisse pas l’impression de se forcer pour l’être, lui ! Et cela tombe bien, puisque dans ce remaster il est possible de choisir lequel des deux viendra vous chercher des noises au cours de l’aventure, avant de vous rejoindre selon certaines conditions.
Notez donc que l’apparition de Dante fait encore aujourd’hui gadget. Que son rôle dans l’histoire est difficile à expliquer et à intégrer. Mais surtout on vous conseille, sans hésitation, de jouer à la version classique du jeu, avec Raidou donc. D’ailleurs, et c’est là une grosse déception concernant ce remaster : à moins d’investir dans la version Deluxe, il vous faudra passer une seconde fois à la caisse pour accéder au mode Maniax, comprenant Dante. Une injustice qu’il est très difficile d’excuser, d’autant que les joueurs ayant connu SMT III en 2005 risquent de vouloir retrouver le même jeu. Devoir dépenser à nouveau quelques euros fait un peu mal au cœur.
Héritier du Dungeon-RPG
Nous ne l’avons pas abordé jusque là, mais il est important de souligner que Shin Megami Tensei III est un jeu difficile d’accès, à l’instar des autres titres de la licence. Ce qu’il doit autant à son scénario et son univers matures, qu’à son challenge corsé et ses mécaniques complexes. Mais surtout, il hérite d’une longue tradition de Dungeon Crawler, avec tout ce que cela implique de qualités et de défauts, ainsi que de contenu abondant. Parce que, qu’on se le dire, le genre n’est pas particulièrement adapté pour le grand public.
Alors bien sûr, Atlus cache bien cette orientation labyrinthique et répétitive derrière un habillage singulier. Mais ne vous méprenez pas, la progression dans l’aventure passe par l’exploration de donjons et la résolution d’énigmes, devenant de plus en plus complexes. Un aspect qui atteint son point culminant avec l’Obélisque, structure gigantesque et incroyablement retorse qui rappellera probablement de mauvais souvenirs à ceux qui ont eu l’occasion de toucher au titre sur PlayStation 2. Pour les autres, bon courage par avance !
Et coté répétitivité, les combats ne sont pas en reste. Nous sommes face à du tour par tour plutôt classique, avec ce que cela implique d’affinités ainsi que de faiblesses. Comme dans un Persona, viser juste permet de gagner un point d’action durant notre tour, et rater une attaque nous en fait perdre deux. Ce qui est aussi valable du coté des ennemis d’ailleurs. Renforçant cette difficulté dont nous parlions quelques lignes plus haut ! L’ennui, c’est qu’il va parfois falloir traquer l’expérience, pour ne pas dire grinder pendant un bon moment, afin de passer certains boss.
Un constat que l’on aurait volontiers expliqué par notre niveau médiocre, mais il n’en est rien. Que vous soyez vétéran dans la série, ou non, vous y passerez comme tout le monde ! Par ailleurs, même sans devoir grinder, les combats sont très réguliers, et les zones dénuées d’ennemis se comptent sur les doigts d’une main. Autrement dit, puisqu’il est déconseillé de fuir pour gagner un maximum d’expérience, on passe un temps énorme à combattre, à refaire les mêmes actions, encore et encore. Une fonction d’auto-attaque est bien là pour permettre de passer plus rapidement le menu fretin, mais cela n’empêche pas de perdre chaque fois plusieurs secondes, voire minutes.
À coté de cela, Shin Megami Tensei III demeure un J-RPG particulièrement riche. Il serait quelque peu réducteur de le catégoriser Pokémon-like, pourtant c’est bel et bien ce qu’il est, d’une certaine façon. Il faudra en effet recruter différents démons au cours de notre aventure, en discutant avec eux et en leur offrant ce qu’ils désirent. Une fonctionnalité intéressante, permettant des compositions d’équipe variées une fois couplée à la possibilité de fusionner nos créatures. Mécanique qui parlera bien sûr aux joueurs de Persona, de SMT IV, mais aussi de Digimon Story : Cyber Sleuth.
Enfin cette richesse s’exprime aussi au travers de la densité du contenu de cet épisode. Il faut bien entre quarante et cinquante heures de jeu pour voir le bout de l’histoire en ligne droite, sans faire de détour, tout en sachant qu’il existe six fins. À coté de cela, le contenu annexe est conséquent lui aussi, avec des donjons supplémentaires et un compendium (sorte de Pokédex des démons) comprenant un grand nombre de créatures. Notamment certaines qu’il n’est possible d’obtenir que sous certaines conditions, en réalisant des fusions.
Un remaster faiblard ?
Le sous-titre parle de lui-même, Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster accuse une certaine fainéantise de la part de son développeur. On nous annonçait une refonte graphique et une remasterisation des modèles 3D, et il est vrai que l’ensemble a connu un petit dépoussiérage. Nonobstant, celui-ci n’est pas exempt d’oublis, ou plus généralement de défauts. Comment ne pas citer les cinématiques restées au format 4/3 par exemple, ou encore une interface qui n’a pas bougé d’un pouce ? Lifting ou non, on a toujours l’impression de jouer à la version PlayStation 2. Ce qui n’est pas aidé par une technique inégale, faisant parfois chuter inexplicablement le framerate en combat…
On aimerait vous dire que la direction artistique singulière du soft rattrape le tout, mais ce serait un mensonge honteux. Certes, celle-ci lui confère une identité bien à lui, perdue entre sensation délectable de fin du monde et déprime complète. La palette de couleurs reste globalement froide, au même titre que les décors d’une austérité déjà difficile à accepter sur PlayStation 2. Tout est cruellement vide, les PNJ se font rares et sont immobiles, et bien sûr la répétitivité des décors, inhérente à l’exploration de donjons, n’est d’aucune aide dans ce constat. On est face à un jeu d’un autre temps, redoublant de difficulté pour se mettre en valeur.
Ce qui est plutôt dommage, en somme, puisque le développeur a pensé à intégrer quelques petites choses intéressantes à cette version de 2021. Notamment un nouveau mode de difficulté, beaucoup plus facile, permettant aux nouveaux venus de s’essayer à cet opus sans passer par la frustration de son challenge ô combien corsé. Dans le même ordre d’idée, une sauvegarde rapide a fait son apparition. On notera enfin la possibilité d’écouter en jeu les bandes sonores des précédents volets, et même des deux opus de la 3DS. Du fan-service qui fonctionne très bien ! D’autant qu’à coté de cela, hormis quelques morceaux qui sonnent un peu métalliques à l’oreille, la bande-son n’a pas vieilli.
On aurait néanmoins aimé que le développeur fasse plus, pour améliorer le confort de jeu notamment. L’absence de mini-map, contraignant à regarder régulièrement la carte via un menu, fait clairement tâche et agace à la longue. L’impossibilité de changer manuellement l’ordre des capacités d’une créature ou de notre protagoniste est une plaie. Et que dire de ces cinématiques ou dialogues impossibles à sauter, ce qui nous contraint parfois à nous retaper de longues discussions avant de revenir à un boss qui nous a précédemment envoyé au tapis…
Ses défauts d’origine, sa remasterisation décevante et ses ajouts mineurs empêchent évidemment Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster d’être aussi accessible que la majeure partie des RPG actuels. Bien sûr, c’est aussi le lot de sa licence, volontairement difficile et imprégnée d’une ambiance particulièrement sombre. Et quelque part, l’apparition d’un mode facile permettrait à tout néophyte de trouver plus facilement ses marques dans sa longue aventure. Néanmoins, il demeure un titre rivalisant de répétitivité, laissant l’impression persistante de n’être qu’un simple portage éhonté de la version PS2…
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