Figurant parmi les nombreux titres intéressants vus au cours de la quatrième édition de l’AG French Direct, Ship of Fools s’était laissé approcher dans sa version pré-alpha en nous livrant un premier départ en mer plutôt agréable. Un aperçu qui, forcément, nous donnait envie d’en voir plus, surtout lorsqu’il s’agit d’un roguelite, où la réussite se mesure en grande partie par sa rejouabilité et les éléments venant se rajouter petit à petit
Et en amont de sa sortie le 22 novembre sur PC, PS5, Xbox Series et Switch, nous avons justement pu tester la création du studio québécois Fika Productions dans son entièreté.
Conditions de test : Nous avons testé Ship of Fools sur PlayStation 5 durant près d’une trentaine d’heures, en version 0.7 puis 0.9, le temps d’arriver au bout d’une quinzaine de runs ainsi que de débloquer et tester l’intégralité des améliorations du Grand Phare. La très grande majorité du temps de jeu a été effectuée en solo.
Sommaire
ToggleFace à la mer
Afin de resituer en premier lieu le contexte du jeu, nous incarnons des Fools, des créatures marines quelque peu loufoques, prêtes à repousser l’Aquapocalypse. Ce danger, représenté par la Tempête Eternelle, menace l’Archipel qui compte comme dernier rempart le Grand Phare, refuge des Fools et d’autres survivants.
Une seule arme peut venir à bout de ce fléau : le Stormstrider. Ce bateau, paré de deux canons, nous est légué par la mystérieuse Clarity, et constitue un peu notre deuxième maison tant tout va tourner autour de lui. Et oui, la pagaie qui nous sert d’arme au corps-à-corps ne nous emmènerait pas bien loin toute seule.
Durant les premières runs, on se familiarise avec le maniement du navire, qui peut s’effectuer tant en solo qu’en coop local ou en ligne, en sachant que le titre a été pensé pour le jeu à deux. Cela étant, après quelques combats on arrive à appréhender seul les affrontements au sein des différents biomes, répondant au nombre de trois.
Face à une grande carte de navigation décomposée en une multitude de cases, à vous d’organiser le déplacement de votre bateau, en ayant en ligne de mire les récompenses que la case choisie promet, une fois les ennemis battus. En effet, notre Fool doit gérer son navire et ses deux canons embarqués contre des vagues de créatures plus ou moins féroces selon le biome et l’aléatoire.
Parallèlement, la Tempête Eternelle, concrètement symbolisée par des cases noires, gagne du terrain et fait disparaître aléatoirement des morceaux de map au fur et à mesure que l’on progresse, jusqu’à nous contraindre à y plonger, synonyme de combat de boss.
En gros, au départ, on planifie son trajet en fonction des récompenses qui nous intéressent, tout en faisant attention à la Tempête Eternelle qui gagne du terrain tous les trois tours, en sachant qu’elle peut finir par engloutir une ou plusieurs salles susceptibles de nous plaire.
Lorsque l’on franchit la fameuse tempête, on rencontre donc un boss, logique pic de difficulté de la zone, et ainsi de suite jusqu’au dernier biome et son adversaire final.
Du côté de la structure de ses tentatives, Ship of Fools s’appuie sur des bases assez solides et arrive à poser sa patte avec ce concept de Tempête Eternelle qui bouleverse régulièrement le trajet que l’on s’était fixé au départ, et pousse à faire des choix et revoir nos priorités en cours de route. Idéal pour ajouter la belle dose d’imprévu qui fait le sel d’un roguelite.
Stormstrider, la machine à tuer…
De telles bases ouvrent la voie à un potentiel de runs intéressantes, mais il demeure qu’un autre aspect essentiel du roguelite se doit d’être réussi. Et nous parlons évidemment de l’amélioration de son personnage – en l’occurrence ici son bateau – qu’il s’agisse des upgrades temporaires durant la run ou bien de ceux permanents récupérés ici au Grand Phare.
Et de ce côté-là, il existe pas mal de bonus destinés à booster le Stormstrider. On en compte principalement trois types. Les munitions, tout d’abord, varient dans un spectre assez large les types de projectiles tirés. Dégâts élémentaires, de poison, d’affaiblissement, perforants ou non, délivrant une quantité de boulets plus ou moins fournie à chaque rechargement, il y a de quoi nourrir sa puissance de feu.
Et outre les variantes de boulets traditionnels, on est également amené à utiliser des bombes ou des œufs de volatiles. Les premières sont à usage limité et ne délivrent qu’un seul tir mais l’impact est brutal, faisant d’elles sans aucun doute les munitions les plus mortelles.
Les seconds représentent les projectiles les plus loufoques mais se révèlent être un bon compromis entre boulets traditionnels et bombes. Les œufs font pas mal de dégâts et proposent aussi des variantes élémentaires. Mais la contrainte est qu’ils sont pondus à intervalles réguliers par un volatile, ce qui fait que l’on en a pas toujours sous la main.
On trouve ensuite comme upgrade les babioles. Ces petites reliques s’accumulent dans un inventaire et procurent des avantages passifs relatifs à quasi tous les aspects du gameplay, comme l’augmentation de la cadence de tir et dégâts des canons, ou l’élévation du taux de coups critiques.
Enfin, les artefacts fonctionnent un peu de la même façon que les babioles en boostant nos capacités. La différence se situe dans le fait qu’on ne puisse pas les accumuler à l’infini, vu que les places sont chères sur le bateau.
Car oui, les développeurs ont pensé à une limite pour empêcher le Stormstrider de se transformer en tank aquatique. Les artefacts et munitions, afin d’être opérationnels, doivent être fixés sur l’un des trois piédestaux placés sur le pont. Tout autre objet présent ailleurs sur le navire tombe à l’eau et se retrouve perdu dès lors que l’on change de case.
Là encore, des choix sont à faire et parfois c’est le cœur lourd que l’on abandonne une ressource intéressante au profit d’une autre. Mais c’est tout de même une belle manière pour le jeu d’autant diversifier son gameplay que de pousser aussi à se spécialiser dans un build.
… qui se construit en mer…
Toutes ces belles améliorations se glanent au fil de l’expédition menée sur la map. Les cases spécifiquement dédiées seront frappées de leurs logos respectifs, colorés en rose, et la récompense nous est donnée à la fin des vagues d’ennemis qu’elles imposent.
À côté, il existe d’autres moyens de bénéficier d’améliorations, comme les cases grises. Ce sont des îles abritant par exemple une boutique, où l’on dépense nos dollars des sables gagnés au fil des combats, un coffre, recelant une amélioration aléatoire, ou encore une relique maudite.
Fixée au navire, cette dernière inflige un malus qui diminue vos performances jusqu’au boss, et rapporte une babiole dorée, de qualité supérieure, une fois celui-ci vaincu. Le débuff se traduit soit par un canon rendu inutilisable, une limitation des dégâts de coups de pagaie à 1, ou bien une avancée de la Tempête Eternelle à chaque tour au lieu de trois. Une balance bénéfice/risque bienvenue et assez favorable, surtout lorsque l’on commence à bien connaître les boss.
D’autres lieux encore, les cases mystères, représentent aisément les endroits les plus frissonnants de Ship of Fools. Le concept est simple : soit l’on tombe sur une des îles mentionnées juste au-dessus, et donc sujettes à améliorer le navire, soit on se retrouve face à des vagues de créatures surprises plus ou moins virulentes.
Le deuxième cas risque parfois littéralement de détruire une run si on se laisse submerger, et ce même si on avait au préalable un build solide. S’aventurer sur ces cases se fait donc à nos risques et périls, mais le quitte ou double, quand il paye, est satisfaisant.
Parmi tous ces lieux spéciaux existent des cases davantage classiques, aux récompenses claires symbolisés par une icône. On collecte ici les différentes ressources utiles à la progression, telles que des planches pour réparer son bateau, des dollars, des boucliers, les Tendriis, éclats nécessaires aux améliorations permanentes trouvées au Grand Phare, ou encore les précieux harpons.
Les harpons deviendront rapidement vos meilleurs amis. Grâce à eux, on collecte toutes les ressources tombées à l’eau à la défaite de certains ennemis. De plus, ils font également l’objet d’améliorations potentielles puisque susceptibles d’infliger des dégâts s’ils sont tirés vers une créature. Prudence, tout de même, puisque les harpons sont à usage unique. Il faut donc surveiller régulièrement les stocks.
Cerise sur le gâteau, entre chaque biome, une fontaine magique nous attend pour soit recycler ou copier n’importe quel bonus ou ressource stocké(e) sur le bateau. La copie est particulièrement redoutable vu qu’elle double l’effet de son bonus préféré.
En bref, cette constitution de build intéressante et dépendante de bien des facteurs fait prendre tout son sens à la gestion de la Tempête Eternelle mentionnée précédemment. Régulièrement, lorsque l’on voit une case intéressante vers l’extrémité droite de la map, on imagine bien qu’elle va se faire engloutir, donc soit on la laisse tomber, soit on abandonne les récompenses près de nous pour y accéder avant qu’elle ne disparaisse. Une science du dilemme plutôt bien exécutée.
… comme sur terre
Puisque roguelite, et pas roguelike, Ship of Fools construit également la progression du joueur de manière permanente. Durant le tutoriel, on nous fait comprendre que les Tendriis, les petits éclats récupérés notamment à l’issue des combats de boss et en récompense de runs, constituent LA ressource qui nous octroie des avantages définitifs.
Ils concernent dans un premier temps l’augmentation des PV du bateau, du nombre de harpons et de dollars disponibles au départ d’une run. Mais l’upgrade que l’on remarque d’entrée c’est sans aucun doute celle concernant les piédestaux. Nous l’avons abordé, afin qu’une boite de munitions ou une relique soit active, ou qu’une ressource soit conservée, elles doivent être placées sur l’un des trois piédestaux du Stormstrider.
Mais très vite, on se retrouve frustré de n’avoir que trois emplacements pour toute une run. Ainsi, pouvoir passer de trois à cinq piédestaux est une bénédiction et représentera vraisemblablement votre premier investissement.
À partir de là, les autres améliorations possibles se découvrent en progressant au sein des biomes. Concrètement, à chaque première visite d’un biome on peut rencontrer un nouveau PNJ sur une case bleue S.O.S. qui viendra nous apporter son savoir-faire au Grand Phare
Au fil des tentatives et à chaque nouvelle zone découverte pour la première fois, on dispose donc de cordes supplémentaires à notre arc. On déverrouillera par exemple de nouveaux types de canons, avec différents types de tirs lesquels sont améliorables jusqu’au niveau 10.
Un autre marchand mettra quant à lui à disposition des babioles inédites qui, une fois débloquées, deviennent susceptibles d’être rencontrées lors de nos prochaines expéditions. L’éventail d’upgrades temporaires s’élargit donc et les possibilités de build, avec.
Nous sommes d’accord, « faire ses courses » entre chaque run histoire de devenir plus fort à chaque tentative représente évidemment un incontournable de la mécanique roguelite, Cela n’empêche pas de souligner que Fika Productions l’applique de manière plutôt satisfaisante.
Et lorsque l’on remet en perspective tous ces aspects du gameplay, on se rend compte que les ingrédients nécessaires à un bon jeu du genre semblent présents, accompagnés de la petite touche du studio québécois que le côté tower-defense, la gestion de la Tempête Eternelle, ou encore la possibilité de jouer en coop composent.
Un univers intrigant sous-exploité
La patte de Fika Productions est également artistique. Graphiquement, on ne sait pas s’il existe sciemment une inspiration Rayman Origins/Legends derrière la conception des décors ou du design des personnages et des ennemis, mais difficile de ne pas y trouver une similitude.
Tant mieux, car les illustrations réalisées à la main affichent un rendu convaincant, de quoi nous offrir un certain dépaysement au cours de nos escapades. L’univers créé par le studio québécois se dessine d’autant plus avec le côté louftingue de ses personnages et la musique, réussie.
Celle-ci propose un très bon thème mélancolique sur son menu principal, ce qui tranche avec les compositions épiques, durant les combats de boss, et plus légères, une fois le pied à terre au Grand Phare ou lorsque l’on visite des boutiques.
Toutefois, ce monde ne gagne pas plus en épaisseur que cela au fil des parties. En le mettant en parallèle avec un Hades ou un Children of Morta, où enchaîner les runs amènent régulièrement de nouveaux dialogues et enrichit les intrigues, Ship of Fools n’exploite pas plus que cela le décor qu’il plante.
On nous présente bien le contexte, avec le Grand Phare, la Tempête Eternelle, et la nécessité de prendre la mer, mais on en reste là. Les Fools ne peuvent pas non plus échanger les uns avec les autres alors que leur particularité physique pouvait donner naissance à un certain background. À part ce design, seules leurs compétences propres (coups de pagaie critiques, dégâts et cadence de tir des canons augmentés) les différencient vraiment.
De même, les PNJ liés aux améliorations rejoignant le Grand Phare ont quelques lignes de dialogue, mais ne diront rien de nouveau, pas même une fois toutes les améliorations débloquées. Constat similaire pour Clarity qui, une fois le tutoriel passé, s’exile près de la porte du Grand Phare et n’aura plus aucune influence.
On aurait pu imaginer que discuter avec ces PNJ aurait pu donner lieu par exemple à des conseils de build, des trucs et astuces ou encore des contes liés aux légendes de l’Archipel. Alors, effectivement, ce n’est pas parce que d’autres incorporent une belle dimension narrative que Ship of Fools se devait d’en travailler une. Sauf qu’une telle composante aurait pu au moins atténuer ce sentiment d’inachevé qui prédomine assez rapidement.
Symptômes d’un « roguelight »
Le titre de Fika Productions sait nous embarquer dans sa quête contre l’Aquapocalypse, mais malheureusement il nous abandonne au bout de quelques heures de jeu, une fois la première run complète effectuée. Rappelons-nous qu’il existe deux enjeux dans cette aventure.
Le premier est donc de repousser la Tempête Eternelle, et le deuxième, davantage secondaire mais tout de même affriandant, consiste à ramener les PNJ disparus au Grand Phare. Le problème, c’est que leur déblocage intervient trop rapidement.
Lors de notre toute première run, nous avons pu finir le biome initial, débloquant la forgeronne et l’accès aux canons, puis avons enchaîné avec la réussite du deuxième, donnant accès au marchand de perles d’améliorations. Deux tentatives plus tard, nous finissions le troisième environnement, délivrant l’ultime PNJ, lequel renforce l’effet des fontaines.
En trois runs, l’intégralité du Grand Phare était rendu accessible. Il n’y a en aucun cas d’effet de surprise sur d’éventuelles nouveautés, que ce soit du côté du hub ou des expéditions en mer. On récupère bien de nouveaux Fools à incarner, mais la plupart du temps on les débloque sans trop faire attention et, surtout, sans savoir quelles sont les conditions pour les obtenir. Or, là encore, la grande majorité d’entre eux nous est accessible assez rapidement.
Même constat concernant l’objectif principal. Une fois le boss final détruit, une petite cutscene se lance et expédie en quelques secondes la raison pour laquelle les Fools doivent continuer à prendre la mer malgré ce succès. Rien de plus. Aucune autre motivation liée à l’avenir de l’Archipel, à ses habitants, ou encore à de possibles secrets n’est insufflée au joueur. Très frustrant lorsque l’on est pris dans la dynamique installée par les premières heures.
Ship of Fools souffre donc d’une absence frappante de endgame, ce qui est meurtrier pour un roguelite. Et côté gameplay, on ne peut pas non plus compter sur de nouveaux patterns de boss, des versions élite de certains mobs ou encore une sorte de mécanique de runs à handicaps, comme dans Hades ou Astral Ascent, pour corser le challenge et débloquer des récompenses juteuses.
Seule la volonté de tout déverrouiller au Grand Phare peut matérialiser cette envie, pourtant présente, d’y retourner. Sauf que, à quoi bon, si rien de nouveau ne va nous arriver et que nous avons éradiqué une première fois le cœur de la menace ?
Navigation en eaux troubles
Le titre a frôlé aussi le piège du déséquilibre des builds. Aussi jouissives puissent-elles être, certaines combinaisons de bonus engendraient des situations vraiment indécentes tellement elles étaient redoutables en cumulant moult effets.
C’est d’ailleurs ainsi que notre première run complète s’est construite, avec des coups de pagaie qui envoyaient des ondes de choc, saupoudrées de dégâts élémentaires et d’une grande puissance des canons, qui bénéficiaient d’une cadence et de dégâts de plus de 30% grâce à une relique, laquelle a été clonée pour doubler l’effet. Un abus que l’on juge adouci par l’équilibrage apporté par la version 0.9 arrivée en cours de route.
Maintenant cette version ne peut rien contre d’autres soucis. La lisibilité de l’action représente un autre problème récurrent plutôt embêtant. Lorsque le Stormstrider est chargé, il est compliqué de savoir sur quoi on « clique ».
Entre les munitions, qu’on peut avoir mis de côté, les œufs pondus par les oiseaux, les planches et autres ressources potentiellement laissées sur le pont, la panique arrive à s’installer dans les moments les plus tendus, où au lieu de saisir le canon, on récupère par exemple une planche dans les mains, ce qui dérègle la machine et nous fait perdre de précieuses secondes dans le feu de l’action.
Une remarque qui prend de l’épaisseur en coop, auquel on ajoute le friendly fire du coup de pagaie. Les menaces à gérer au corps-à-corps sont fréquentes, et frapper maladroitement son coéquipier n’est pas chose rare.
Pire, trop de coups donnés de manière rapprochée étourdira notre compère, qui sera inactif pendant 2-3 secondes. Jouer à deux reste cependant un plaisir qui croît en même temps que l’on gagne en automatisme et communication.
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