Au cours d’un State of Play diffusé en février 2021, Sloclap, studio développeur du jeu de combat Absolver, annonçait Sifu, leur deuxième création toujours centrée sur les arts martiaux. De premières images très alléchantes naquit une curiosité grandissante qui, moult trailers et quelques aperçus plus tard, a donné au titre le statut de grosse attente de ce début d’année 2022. Il a même l’occasion d’ouvrir ce diabolique mois de février où se bousculent notamment, excusez du peu, Horizon Forbidden West et Elden Ring. Alors est-ce que le nouveau projet du studio français est-il si fou que ça ? Réponse au bout de ce test coup de poing.
Conditions de test : Nous avons joué une dizaine d’heures à Sifu sur PlayStation 5 avec la version masculine du personnage principal, le temps de finir l’histoire. 90% des éléments collectables ont été récupérés.
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ToggleNaissance d’une vengeance
Le pitch commence à être connu, mais rappelons-le tout de même pour celles et ceux n’ayant jamais entendu parler de Sifu : une petite fille – ou un petit garçon, telle que fut notre décision au moment de choisir au début de l’aventure – est témoin du meurtre de son père par un groupe d’assassins et finit par être laissé pour mort après avoir lui/elle aussi reçu un coup fatal. Au terme d’une introduction diablement efficace livrant avec exactitude le ton global du titre, et au bout de huit années d’entraînement au kung-fu, l’enfant a désormais 20 ans et s’apprête enfin à venger son paternel.
Seul dans son école d’arts martiaux, ou « Wuguan », notre héros a dressé un tableau sur lequel figure les informations relatives à chacune des cinq cibles qui composent sa liste noire : Fajar, Sean, Kuroki, Jīnfèng, et enfin Yang, le cerveau de la bande. Il se met en quête de les traquer un par un tout en récupérant sur son chemin des éléments dressant les liens entre eux et faisant la lumière sur leurs desseins. Chaque cible occupe un lieu stratégique de la ville, et donc, fait l’objet d’un niveau dédié. D’un vieil entrepôt où s’alimente un réseau de drogue à la tour d’une grande entreprise, en passant par le fameux club déjà dévoilé à plusieurs reprises, le disciple a du pain sur la planche.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut déjà noter que Sifu propose une ambiance vraiment séduisante. Adoptant à peu près la même direction artistique que son prédécesseur, Absolver, avec une touche de low poly, le jeu fait jongler les couleurs au fil des thématiques élémentaires propres à chaque niveau, tout en incorporant à ses décors réalistes des visions surnaturelles. En découle donc un vrai plaisir de parcourir les cinq environnements proposés.
Saluons également la bande-son composée par Howie Lee qui, fruit d’un mélange d’instruments traditionnels chinois et d’autres davantage modernes, parvient autant à donner le tempo comme lors des affrontements sur la piste du club, que d’appuyer le côté sombre et la tension qu’implique la quête du disciple. Si l’ambiance globale du titre fait mouche, le gameplay s’en voit indéniablement renforcé, lui qui constitue la pièce maîtresse de Sifu. On le sait, ici, la baston est le maître mot, et à partir du moment où on y goûte, dès l’introduction, on ne la quitte que lorsque que l’on éteint le jeu.
Des mandales ou rien
Partant au départ d’une palette de mouvements simple à appréhender, avec des attaques légères, des attaques lourdes et une parade/esquive, le titre propose des combos qui se diversifient au fil de la progression et du déblocage de compétences que nous aborderons un peu plus tard. Au sein du hub, on peut même s’exercer à loisir contre un adversaire passif ou actif pour tester les différents mouvements. Sloclap a tenu à développer ici la pratique du kung-fu Pak Mei le plus justement possible, notamment grâce à Benjamin Colussi, maître de la discipline et chorégraphe pour le jeu.
Du côté des développeurs, le souhait a été de mélanger crédibilité de l’art martial et cohérence avec le gameplay d’un jeu de combat, et le résultat s’avère, comme pressenti, époustouflant. Les animations de combat sont fluides, dynamiques, brutales. Chaque coup porté fait ressentir un impact et la DualSense apporte avec plaisir sa contribution en délivrant des retours haptiques immersifs, et confirme une fois encore le bonus très agréable qu’elle peut offrir d’un point de vue sensoriel. Ainsi, on se sent maître de chacun des mouvements du héros au point de vouloir imposer notre rythme au cours de l’affrontement, le tout avec style.
L’environnement regorge également d’éléments pouvant être utilisés à votre avantage. Lancer des bouteilles de verre histoire de désorienter un adversaire, propulser un siège dans ses jambes afin de le faire trébucher ou simplement glisser sur des tables pour tempérer un peu permet de s’approprier l’affrontement et participe à la montée du score de mission, dont le multiplicateur augmente successivement avec une série d’attaques sans se faire toucher.
Parlons aussi de vos futures meilleures amies : les armes de corps-à-corps. Qu’il s’agisse d’un balai, d’un tuyau ou d’un bâton plus conventionnel, elles vous seront d’une grande aide et font grimper d’un cran la brutalité en combat. Elles infligent de lourds dégâts et portent de sérieux coups à la barre de structure auprès de la plupart des ennemis. Cette jauge correspond à un indicateur d’équilibre de vos adversaires. En la brisant au bout d’un certain nombre d’attaques, ceux-ci tituberont et vous pourrez les achever via un finish dévastateur.
Enfin, la jauge de focus, une fois remplie, offre l’opportunité d’activer un coup spécial ciblé sur une partie du corps de votre opposant. Elle se remplit au fil d’esquives et de coups portés, et peut vraiment vous sortir d’une mauvaise passe. Bref, vous l’aurez compris, le système de combat est jouissif et profond, en offrant de nombreuses possibilités de se sortir sain et sauf d’une baston.
Mais attention, la première erreur serait de croire que l’on puisse être intouchable. Sifu, c’est également une volonté d’offrir une expérience exigeante, et les adeptes de l’appui sur tous les boutons déchanteront rapidement. Le titre impose aux joueuses et joueurs de mettre à l’épreuve leur patience, leur détermination, et leur capacité d’apprentissage. Les niveaux sont peuplés de sbires plus ou moins robustes, allant de simples hommes de main à de grands gaillards, mais aussi de vrais combattants prêts à proposer un duel bien plus âpre.
Le vrai gap de difficulté se ressent lors des affrontements contre les boss. Soyons clairs, visualiser les patterns de votre adversaire puis apprendre à les contrer ou les dévier constitue une obligation. Maîtriser la parade et l’esquive est la clé de la survie, à plus forte raison au cours de ces combats de fin de chapitre.
Pourquoi tombons-nous ?…
Si le premier niveau peut encore passer avec quelques balbutiements des doigts, les choses se corsent déjà à partir du deuxième, et c’est à ce moment-là que l’on découvre, à la dure, l’application requise pour progresser. Par exemple, rappelez-vous cette jauge de structure mentionnée plus tôt, eh bien le personnage principal en détient également une. Et tout comme les ennemis, une fois brisée, il devient pleinement vulnérable pendant un court instant, un délai qui peut faire mal à la barre de PV et ainsi faire basculer défavorablement l’issue de l’affrontement.
Cette « claque » prise au début du jeu s’avère initialement assez déstabilisante, et la frustration peut s’installer avec un soupçon d’incompréhension. Mais le plaisir de Sifu se situe ici, dans le fait de parvenir à repousser ses limites. Une sorte de métaphore de l’apprentissage du kung-fu lui-même au sein de laquelle tout le monde ne se retrouvera pas. Dieu sait que les PV peuvent rapidement descendre dans Sifu, même contre des ennemis plus modestes, dès lors que l’on enchaîne les erreurs offensives et défensives.
Et accepter de se voir régulièrement tomber au combat peut décourager, d’autant plus lorsque la caméra s’en mêle. Il est assez fréquent, en effet, d’être désorienté par un placement douteux de sa part, de quoi parfois se retrouver au tapis un peu injustement. Assez dommage dans un jeu où le trépas nous attend au tournant. Heureusement, une fois la vie à zéro, la mort ne vous cueille pas tout à fait comme on peut s’y attendre.
Car l’autre particularité étonnante de Sifu consiste en un système de vieillissement. Grâce à un mystérieux chapelet hérité de son père, le disciple peut ressusciter à l’issue de chaque mise au sol fatale, moyennant une ou plusieurs années de vie en échange. À chaque mort, un compteur symbolisé par un crâne augmente de 1. On débute à l’âge de 20 ans, et si l’on meurt, on peut choisir de réapparaître aussitôt à 21 ans. Mais en cas de nouveau décès dans la foulée, on revient âgé de 23 ans, et ainsi de suite.
Chaque mort est, numériquement, de plus en plus punitive. Cela dit, toutes les dizaines, un fragment du chapelet se détruit et le héros troque ses PV max contre une augmentation des dégâts qu’il inflige. Passé les 70 ans, plus aucun retour ne devient possible, ce qui constituera votre ultime tentative.
Heureusement, il existe une manière de réduire le compteur d’années ajoutées à chaque mort en vainquant des ennemis relativement coriaces. Sur le principe, ce système est bien pensé et sert habilement la forte dimension bénéfices/contraintes qu’arbore le soft, mais on ne peut nier une part de déception de se voir vieillir trop rapidement dans l’aventure lorsque l’on est encore un débutant.
Car en cas de mort définitive, le jeu nous ramène dans le hub, à l’âge que l’on avait avant de débuter le niveau dans lequel on a été vaincu. Sauf que si, par exemple, on découvre le niveau 3 (sur 5) à l’âge de 60 ans, il y a très peu de chances d’arriver au bout de l’aventure sans devoir faire machine arrière.
… Pour apprendre à mieux nous relever
La rejouabilité rentre alors en compte. Avec en tête une meilleure connaissance des niveaux désormais réussis, le titre nous invite à les retraverser en faisant mieux, c’est-à-dire, en les terminant avec l’âge le plus bas possible. En guise de petit coup de pouce, les développeurs ont eu la bonne idée d’incorporer des raccourcis au sein des stages, qui deviennent accessibles en récupérant une clé ou une carte d’accès après être arrivé suffisamment loin dans le niveau, préalablement, afin d’accéder plus rapidement et avec moins d’encombres au boss de la zone.
En parvenant à l’éliminer avec un âge moindre, on peut alors appréhender plus aisément les chapitres suivants, lesquels sont davantage susceptibles de nous malmener. Si cette rejouabilité nous permet de gagner en assurance et en maîtrise, l’occasion se présente aussi de se concentrer sur le développement intrinsèque de son personnage via un système de compétences.
Battre des adversaires vous confère de l’EXP. Mourir, hormis une nouvelle chance, offre la possibilité d’investir cette expérience dans des coups spéciaux ou des nouveaux combos. Les déverrouiller une première fois rend actifs ces mouvements uniquement sur votre tentative en cours. Autrement dit, à la prochaine mort définitive, ils disparaissent de votre palette. Cependant, en injectant cinq fois supplémentaires la même quantité d’EXP sur une de ces techniques, elle sera apprise de manière permanente.
Voici donc une raison de plus de refaire un chapitre ou deux afin de se constituer un éventail de mouvements, paré pour la suite de votre aventure. Un tel système, peut-être pas des plus avantageux en apparence, s’inscrit dans cette volonté de ne pas forcément tout donner tout cuit dans la bouche des joueuses et joueurs, en devant le mériter.
Autre manière d’améliorer son personnage : les statues de dragon. Disséminées sur votre chemin, elles fournissent un bonus temporaire lié à la jauge de PV, de structure, de focus, ou encore aux dégâts effectués avec les armes contre de l’EXP, ou à partir d’un score de mission suffisamment élevé. Ici, pas d’avantages permanents, les upgrades se conservent tout au long d’une tentative. Cela dit, ceux-ci sont intéressants et on s’amuse à tester différentes combinaisons au fil des essais ou des replays de chapitres.
Sachez que ces deux manières de booster un peu le disciple se confrontent à des limites de vieillesse. Arrivé à un certain âge, plusieurs techniques ne peuvent plus être apprises, et certains bonus deviennent inaccessibles. Exemple d’un dilemme illustrant bien le côté stratégique de cette contrainte : augmenter sa jauge de structure est possible jusqu’à l’âge de 60 ans, tandis que la solidité des armes ne peut être accrue qu’avant 25 ans.
On serait tenté de sécuriser la jauge de structure afin de respirer davantage pendant les combats, mais, dans le cas où les 25 ans seraient atteints assez vite, ce serait s’assoir tôt dans l’aventure sur des armes plus solides. Plutôt dommage compte tenu de l’aide non négligeable qu’elles vous procurent au cours des affrontements. À l’inverse, opter d’abord pour un gain de leur durabilité s’avère risqué.
Tous ces choix d’améliorations, la gestion du vieillissement, la rejouabilité des chapitres, participent à ce fameux parcours d’apprentissage, salvateur pour espérer arriver au bout de la quête de vengeance du disciple. En ce sens, l’ennui ne s’installe jamais tant on cherche constamment à appréhender chaque combat de la meilleure des manières, en faisant de ses erreurs passées un tremplin vers la réussite.
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