Candidat idéal pour s’immerger dans l’horreur, au sens le plus commun du terme, Silent Hill 2 Remake a logiquement retenu toute l’attention en octobre dernier, éclipsant par la même occasion le nouveau projet imaginé par nul autre que Keiichiro Toyama – monsieur à qui l’on attribue la paternité de Gravity Rush, Forbidden Siren et Silent Hill, justement – également fondateur de Bokeh Game Studio. Premier jeu sous cette bannière, Slitterhead porte indéniablement l’empreinte du game designer à l’origine du concept, et présent à l’écriture du scénario.
Toyama a su s’imposer dans le genre horrifique via des propositions atypiques, au concept fort, et si Slitterhead suit logiquement le même cheminement créatif, oubliez ici la peur et le malaise que l’on est en droit d’’attendre. L’action représentant une part importante de l’expérience, enlevant donc une certaine tension, le game designer insiste lui-même sur le fait que le jeu n’est pas là pour faire peur, mais plutôt pour nous envelopper d’une atmosphère qui, elle, lorgne clairement vers l’horrifique. Au même titre que le scénario et l’hémoglobine à outrance. Une chose est sûre en tout cas, nous avons là un jeu singulier qui ne conviendra clairement pas à grand monde. A fortiori si l’on regarde son prix de lancement.
Condition de test : Nous avons joué durant 16 heures, amplement suffisant pour terminer l’expérience en mode normal.
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Slitterhead est une œuvre qui paraît datée, sentant l’humidité après avoir été récupérée d’une cave, comme surgit d’un temps passé et révolu, à l’inverse du protagoniste, Hyoki, une entité «spectrale » capable de posséder les humains – et un chien apparemment – afin de combattre d’obscures et violentes créatures en quête de cerveaux à dévorer. Ces créatures, qui prêtent leur nom au jeu, ont la particularité de pouvoir prendre forme humaine, devenant ainsi l’hôte de ce corps. Sous leur forme naturelle, quand ils apparaissent depuis l’intérieur de l’enveloppe charnelle où ils se dissimulaient, les mangeurs de matière grise ressemblent à des monstruosités animales (hippocampe, mante, etc) au chara design discutable, et finalement répétitif. Des références au manga Parasite ainsi qu’à des films d’animation réalisés par Yoshiaki Kawajiri sont même plus ou moins convoquées.
Une fois passées les premières heures nous mettant face à une intrigue nébuleuse, dont la quête de réponses maintient efficacement notre intention, les pièces du puzzle finissent petit à petit par se dévoiler au fil des dialogues et des missions. En résulte une histoire qui se laisse apprécier, avec quelques rebondissements sympathiques et, surtout, une narration volontairement « étrange », avec ses qualités et ses problèmes, mais qui participe à cette ambiance particulière émanant de Slitterhead. C’est une des forces du soft, son atmosphère. La cinématique d’introduction, qui renvoie ouvertement au film Chungking Express (1994), nous immerge d’ailleurs immédiatement dans cet univers.
Dans un court documentaire datant de septembre 2024, Keiichiro Toyama parle de sa fascination pour la citadelle de Kowloon démolie dans les années 90. Comme il le rappelle, il s’agit d’un lieu qui n’a cessé d’avoir une grande influence sur les artistes et les œuvres. A l’époque comme de nos jours. On pense au récent City of Darkness, film de Soi Cheang adapté d’un manhua et dont la reconstitution de lieux est juste magistrale, mais cela inspira aussi grandement Ghost in the Shell lors de la conception de esthétique, entre autres œuvres cyberpunk, comme le souligne le game designer.
Kowloon, par son étroitesse et sa concentration de vie et de bâtiments, reste un lieu parfait pour se perdre dans des ruelles labyrinthiques s’étendant autant sur l’horizontalité que la verticalité. On suffoque, pas suffisamment dans le jeu pour prendre au corps, mais on se sent piégé dans la citadelle. Étreint par une force invisible mais bien palpable. La perte, la tristesse éprouvée face à la disparition des choses, humaines, naturelles ou architecturales, à l’instar de cette citadelle de Kowloon maintenant disparue, sont des questionnement qui touchent Toyama et irriguent ses œuvres. Slitterhead n’y échappe pas.
La Dernière Ruelle sur la gauche
Avec un tel cadre, plutôt riche en détail, on s’imagine déjà se balader un peu partout. Bokeh Game Studio a donc intégré des courses-poursuites, trop omniprésentes cela dit, qui revêtent alors une saveur particulière. On court presque à l’aveugle dans les ruelles, on escalade les toits et les enseignes lumineuses de magasins, tout en usant de la mécanique de possession – revisite et évolution de celle présente dans Forbidden Siren – pour se projeter d’un corps à un autre, ou bien on utilise son sang comme un grappin. On espérait davantage de tension avec des conséquences réelles en cas d’échec, ce qui n’est pas le cas ici, mais force est de constater que ces séquences demeurent ludiques.
Malgré la redondance de ces dernières, à aucun moment elles nous ont rebutés. Le problème étant plutôt le manque de variation dans leur approche, les situations se construisent systématiquement de la même manière, généralement dans le même terrain de jeu. Or, la citadelle de Kowloon n’est finalement pas bien grande en superficie. C’est au moins une bonne manière de nous forcer à appréhender la verticalité des lieux et d’un level design efficace quand il ne rend pas fièrement justice à la citadelle. Tandis que l’environnement extérieur peut se parcourir assez librement, les intérieurs sont bien plus restreints et leur appréhension se fait monté sur rails.
En effet, pour une raison que l’on ignore, peut-être un manque de confiance envers les joueurs, joueuses, Slitterhead nous mâche constamment le travail. Quand il faut discuter avec un PNJ ou bien chercher un passage, des indices, la capacité de réfléchir nous est subtilisée, les développeurs préférant tout contrôler. Dans les faits, il y a tout intérêt à nous épauler de directive, à minima, cela évite trop d’errements plus difficiles à encaisser de nos jours, mais à certains moments le jeu se montre subitement cryptique et ne nous aiguille pas sur la marche à suivre. C’est alors à nous de réfléchir, la réponse étant systématiquement fournie durant les dialogues avec nos compagnons – des humains entrés en résonance avec notre héros qui, bien qu’il les possède, cohabite mentalement avec eux, développant également des pouvoirs liés au sang. On y revient plus loin.
Slitterhead nous prend donc un peu trop par la main, nous assommant de directives à l’écran, et nous laisse rarement nous perdre totalement dans la citadelle. C’est regrettable compte tenu de la question de la perte qui traverse l’œuvre, ainsi qu’au vu des dires de Keiichiro Toyama au sujet de Kowloon. Il prend le temps de s’étendre sur la dualité des lieux qui le fascine. Une beauté lumineuse grâce aux nombreux néons, un quartier grouillant de vie et inspirant une certaine vision de modernité – l’exemple du cyberpunk. Alors que dans chaque ruelle de la citadelle, en son cœur, derrière les murs et les grillages, se cache le côté sombre et violent de l’espèce humaine, véritable minotaure gardant des lieux.
Why don’t you play in hell?
Côté gameplay, outre les courses-poursuites susmentionnées et des phases d’infiltration inintéressantes au possible, l’essentiel va se trouver dans les combats en temps réel. Dans Slitterhead, il y a des êtres rares à « recruter » – tous ne sont pas dotés d’un rôle équitable en termes de traitement et de poids sur l’intrigue. Le titre se structurant par enchaînements de missions entrecoupées de moments narratifs à base de dialogues sur l’écran principal. Un écran principal qui affiche notamment la map, un onglet mémoire pour avoir accès quand on le souhaite aux conversations entretenues, ainsi qu’une partie compétence dans laquelle débloquer quelques coups et effets supplémentaires, sans compter les boosts de statistiques.
Les équipes de Bokeh Game Studio ne déméritent pas sur les affrontements, malgré de vilains écueils. Déjà, les sensations sont là, la mécanique centrale du sang fonctionne particulièrement bien – des compétences puissantes puisent dans notre santé mais on se régénère à sa guise en absorbant les flaques de sang du champ de bataille – et, même si elle reste un peu sous-exploitée, la possession dynamise l’ensemble. Posséder un humain lambda, très fragile, permet d’attaquer, d’exécuter des compétences des êtres rares et servent surtout pour faire diversion pour survivre. Tant que nous ne possédons pas le corps mourant, la partie continue.
Concernant les personnages jouables, on déplorera des redites dans les coups basiques, quatre sont concernés, néanmoins, les compétences varient de l’un à l’autre pour un rendu plutôt cool et stylé visuellement, de quoi rappeler Skarlet dans Mortal Kombat 11. On parcourt d’ailleurs généralement les niveaux avec un compagnon choisi librement, alors que certaines des missions peuvent nous imposer un être rare pour les besoins scénaristiques. Cela étant dit, les affrontements souffrent à cause de la caméra qui a parfois du mal avec les espaces exiguës, des hitbox imprécises et, sur les dernières missions, Slitterhead nous confirme qu’il tire quand même un peu en longueur. Le gameplay manque de richesse et de diversité.
L’action est satisfaisante et amusante, sauf que l’on va régulièrement mourir à cause des imprécisions techniques du soft. Sans quoi, la courbe de progression nous a semblé assez juste. En outre, ces échecs injustes sont à relativiser. Les missions ne s’étendent pas sur la durée, ce qui est un bon point, et les checkpoint, si ce n’est en fin de jeu, sont bien placés. Une boucle sanglante pimentée par la possibilité d’effectuer une esquive ainsi que l’indémodable contre. Le contre se fait ici de manière atypique puisque les attaques adverses, exceptées les imparables, seront indiquées. Dès lors, il faudra orienter le joystick droit, celui de la caméra, dans la même direction que l’indication, juste avant de se faire toucher par l’attaque. En cas de réussite, le temps ralentit et nous offre plusieurs coups garantis.
Quant à la partie sonore, que dire… On sent des sonorités d’un autre temps là aussi, au point que plusieurs musiques soient parvenues à convoquer des souvenirs de jeux vidéo, de films également. Il y a quelque chose d’hérité des années 90 qui transparaît à l’écoute. Un peu comme les visuels assez moches dans l’ensemble, comme l’aspect fauché du soft qui ne cesse de jaillir de l’écran. Oui le soft aurait gagné à soigner ses graphismes, cependant, en réalité, cela ne porte que peu préjudice à l’expérience. Et puis, Kowloon impose suffisamment pour garantir l’équilibre. Les compositions musicales de Yamaoka travaillent l’atmosphère particulière de Slitterhead, imposant une ténébreuse et pesante ambiance, à défaut d’être pleinement suffocante.
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