Puisque le marchée coréen tourne principalement autour du PC et des mobiles, le studio Shift Up s’était surtout fait connaître pour ses jeux visant ces plateformes, comme Nikke: Goddess of Victory, qui lui a permis d’amasser un beau trésor de guerre. De quoi financer un projet un peu plus ambitieux, cette fois à destination des consoles avec Project EVE, qui est entre temps devenu Stellar Blade. Un projet qui n’a cessé de grandir et de gagner en renommée, jusqu’à attirer l’œil de Sony Interactive Entertainment, qui a senti le bon filon et a voulu l’exploiter en devant l’éditeur du titre. De quoi propulser le titre sur la scène internationale, pour être braqué sous le feu des projecteurs. Pour le meilleur et pour le pire, étant donné que le titre est devenu un symbole du male gaze dans le jeu vidéo pour les uns, et le porte-étendard anti-woke pour les autres (ce qu’il ne faut pas lire), au point de devenir l’un des éléments centraux dans l’affaire du Gamergate 2.0. Derrière tout cet encre coulé, Stellar Blade méritait-il toute cette attention ? Sans doute, mais pas pour la belle plastique de son héroïne, plutôt pour ce qu’il propose en tant que jeu d’action.
Conditions de test : Nous avons terminé Stellar Blade en mode normal en 38 heures. Nous avons accompli la très grande majorité des quêtes annexes (+ de 90%) et nous avons également visionné les différentes fins du jeu. Nous avons aussi recommencé une partie avec le mode Difficile pour tester ce dernier. Nous avons principalement joué dans le mode d’affichage Equilibré, qui correspond au juste milieu entre Performances et Fidélité.
Sommaire
ToggleUn récit en pilote automatique
On l’avait vu avec la démo et le réaffirme aujourd’hui: Stellar Blade n’existerait pas sans NieR Automata et cela se ressent d’entrée de jeu. D’abord parce qu’il emprunte les mêmes thèmes et nous embarque dans un récit de science-fiction où nous sommes amenés à réfléchir à ce qu’est vraiment l’humanité, et ce qui peut la définir.
Dans un univers où la Terre est vidée de la quasi-totalité des humains et même de la plupart des animaux, des « Anges » a l’allure de gravures de mode viennent depuis l’espace pour massacrer des monstres appelés Naytibas, qui sont la source de l’extinction de la race humaine. EVE fait partie de ces guerrières venues d’une colonie lointaine et a pour but de trouver la source de cette espèce pour l’éradiquer. Après un atterrissage mouvementée et un accident tragique, notre protagoniste se retrouve à faire équipe avec Adam, l’un des derniers humains présents sur Terre, qui va lui demander son aide et l’emmener au sein de Xion, dernier bastion de l’humanité.
Le lore de Stellar Blade a beau ne pas être très original, il est en tout cas bien construit. Pas besoin d’attendre les révélations bien mises en scène pour se faire une idée de ce qui se trame dans le jeu, grâce à des notes et des quêtes annexes qui permettent d’en apprendre plus sur le monde et ses derniers habitants. On devine facilement les grosses ficelles qui se mettent en place et on reste ainsi peu surpris face à des twists quelques peu téléphonés. Mais grâce à une mise en scène débridée et des séquences d’action particulièrement folles, on ne s’ennuie jamais vraiment. Et ce malgré cette sensation de déjà-vu.
Entre la vie avec des automates, la recherche de l’origine des Naytibas et la fonction des personnages clés de l’aventure, presque tout semble nous rappeler que NieR Automata abordait déjà les mêmes sujets, avec un peu plus de réussite. Ou du moins avec plus d’émotions. Ce qui est sans doute la faute aux personnages plus qu’au récit en lui-même. A commencer par EVE.
Plus de forme que de fond ?
On a beau être rassuré de voir que notre héroïne n’est pas qu’une coquille vide mise en avant pour assouvir quelques fantasmes, elle manque tout de même un peu de relief. Adam et Lily, ses deux compagnons, apportent un peu de vie à des interactions parfois trop scolaires selon les doublages (la VF est inégale), mais on aurait aimé se rappeler tout autant de la personnalité d’EVE que de son look ou des scènes qui mettent en avant ses capacités athlétiques, aussi impressionnantes soient-elles. Si elle a de quoi devenir une « icone » (c’est un bien grand mot à relativiser), il lui manque ce petit quelque chose qui provoque de l’attachement au personnage. Un sens de l’humour à la Dante, une fragilité à la 2B, une attitude à la Bayonetta… Quelque chose, n’importe quoi, un trait de caractère affirmé en somme.
Un article publié sur Inverse décrivait EVE comme une poupée plutôt que comme une vraie figure de protagoniste, et si l’on ne sera pas aussi catégorique grâce à quelques scènes qui permettent au personnage de briller un peu plus sur un plan émotionnel, on peut comprendre l’idée. Sans doute parce que Stellar Blade accorde une grande importance à la garde-robe de son héroïne, avec plus de 30 tenues à débloquer. Vous passerez donc sans doute beaucoup de temps à collecter ces tenues pour « habiller » EVE, avec des costumes qui auraient de quoi faire rougir 2B ou A2.
Il y en a heureusement pour tous les goûts ici avec des skins plus sobres et même parfois amusants, pour celles et ceux qui veulent éviter les plans culottes à chaque roulade ou salto. L’avantage, c’est que toutes ces tenues sont directement intégrées dans la galette (il suffit de débloquer le modèles et d’avoir les ressources pour le crafter) et ne sont pas bloquées derrière des microtransactions (en dehors des bonus de précommandes, mais on ne parle que de couleurs alternatives). Si on est friands de ce genre de choses à collectionner, Stellar Blade est d’autant plus plaisant.
Un gameplay qui pioche ses idées un peu partout
Avec toutes ces récompenses à aller dénicher, explorer les zones semi-ouvertes de Stellar Blade s’avère plutôt agréable. A condition de ne pas être rebuté par la fréquence des combats, avec des ennemis qui ne vous lâchent pas d’une semelle et qui ont tendance à casser le rythme. On aimerait parfois avoir un peut le temps de contempler les paysages désolés sans avoir à se remettre dans le feu de l’action avec un monstre qui va surgir de sa cachette.
Dans ce sens, Stellar Blade s’inspire largement des Souls-like. Non pas qu’il en soit un, mais la manière dont il nous fait approcher les ennemis et la manière dont il les place sont similaires à ceux des jeux du studio japonais. Vous prendrez toujours garde à bien regarder dans vos angles morts pour éviter une attaque surprise. On comprend rapidement que ce n’est pas la seule chose que le jeu emprunte aux productions de From Software, tant Stellar Blade a beaucoup été comparé à Sekiro, pour la simple est bonne raison que le cœur névralgique des combats réside dans le système de parade. Bloquer des coups au bon moment fait baisser la jauge de posture adverse, jusqu’à déstabiliser votre ennemi afin de le rendre vulnérable.
La fenêtre de parade n’est en revanche pas aussi bien réglée sur du papier à musique que dans Sekiro. On peine parfois à bien saisir le timing parfait, parfois trop permissif, parfois pas assez. On prend malgré tout le pli grâce à des compétences qui viennent élargir cette fenêtre, même si l’on sent que l’ensemble aurait mérité d’un peu plus de précision. Même chose pour les esquives, avec un ralenti qui vient s’activer lors d’une roulade parfaite. Tout n’est pas millimétré, sans pour autant que cela nous porte défaut.
Malgré un premier contact qui peut s’avérer difficile, à cause du nombre d’action limité d’EVE, Stellar Blade n’est en rien un jeu très difficile, quand bien même la mort peut vite arriver contre quelques boss bien énervés qui ne laissent pas de place à l’erreur. Le mode de difficulté Histoire est de toute façon là pour éviter toute frustration.
Une fois pris en main, en dehors de ces quelques imprécisions, ce système de combat se montre particulièrement jouissif. Moins vif que certaines vidéos peuvent le penser, puisqu’il repose essentiellement sur les contres, mais tout de même très spectaculaire et rempli de subtilités. EVE est plus ancrée dans le sol qu’il n’y paraît, ce qui ne ne l’empêche pas d’assurer le spectacle si on a un tant soit peu digéré tout ce que le jeu veut nous faire apprendre.
Entre les différentes esquives, les contres à enclencher, les compétences Beta qui lancent de puissantes attaques, les équipements qui apportent des effets passifs, ou le système de grenades, il y a beaucoup de choses à assimiler et la courbe d’apprentissage est bien équilibrée. EVE peut gagner en puissance au fil des boss terrassés, mais c’est bien grâce à votre maîtrise peu à peu acquise que vous ressentirez une vraie évolution et beaucoup de facilité à tuer vos ennemis.
Les coups ont de l’impact, tout est flashy avec de nombreux effets pyrotechniques, et l’ensemble reste malgré tout assez lisible. Au bout d’une trentaine d’heures, après avoir fait le tour du bestiaire, il est normal de ressentir une petite lassitude et on aurait pas dit non à une arme ou deux en plus de la simple épée d’EVE, histoire de renouveler le moveset. Mais on reste en face d’un très bon système avec vraiment peu de défauts gênants et des bases solides qui ne demanderaient qu’à être perfectionnées dans un éventuel second épisode.
Une proposition qui veut sortir des rails du genre
Après tout, ce n’est là que le premier jeu de Shift Up de cette envergure, et, aussi impressionnant soit-il, il est évident que l’ambition grandissante du titre au fil du développement a demandé au studio de s’aventurer sur des chemins totalement inconnus. La structure du jeu en est un bon exemple. On serait prêt à parier que le titre ne comptait pas du tout de zones ouvertes avant un temps et que tout devait filer sur une ligne droite bien établie.
Si l’on pense cela, c’est parce que ces zones explorables (qui ne sont en réalité que 2, ou disons 2, et demi) ne sont guère exploitées par la trame principale du jeu, pour ne pas dire pas du tout (un peu, là encore à la Final Fantasy VII Rebirth). Le titre nous coupe même leur accès dans son dernier grand tiers pour nous mettre sur des rails, avec une structure plus proche de celle d’un beat’em all. En résulte un rythme un peu bâtard, même si on apprécie tout de même la présence de ces zones pour avoir l’opportunité de dériver de l’aventure principale à quelques moments. Ne serait-ce que pour dénicher des costumes, ou bien pour en apprendre plus sur le monde et ses habitants avec des quêtes annexes.
Des missions supplémentaires pas toutes intéressantes d’un point de vue ludique et qui ont tendance à recycler des boss, mais qui ont le mérite de nous donner quelques miettes de lore bienvenues. Aucune ne se montre vraiment pénible et le studio a eu l’intelligence de proposer quelques options qui facilitent la vie pour les accomplir, comme celle de nous téléporter directement devant le PNJ commanditaire une fois l’objectif de la mission réalisé. Une manière d’éviter de gonfler la durée de vie artificiellement – déjà très correcte – sans pour autant que l’on évite totalement quelques allers-retours.
On retrouve également d’autres activités qui poussent à l’exploration, comme un mini-jeu de pêche ou des canettes de soda à récupérer un peu partout dans le monde, dans le but d’augmenter les capacités d’EVE (et également de débloquer le costume le plus fan-service qui soit). Toutes les raisons sont donc bonnes pour aller explorer un peu ou revenir dans certains niveaux. Sans parler de metroidvania, le jeu nous invite à revenir sur nos pas pour résoudre des énigmes ou trouver des coffres manquants en ayant un nouveau regard sur l’environnement.
D’autant plus que si l’on retrouve les mêmes puzzles en boucle pendant la majorité de l’aventure (à coup de mot de passe à trouver et de combinaisons à entrer) et des combats qui finissent forcément par se ressembler, le titre essaye parfois de nous surprendre avec des séquences plus inédites. Que ce soit avec des grandes phases de glissade, des séquences à la survival-horror en TPS ou des phases de plateformes, Stellar Blade essaye d’offrir de la variété et c’est tout à son honneur.
Ce que l’on peut également saluer, c’est la grande maîtrise technique du studio. Pour un premier jeu de cette taille, on pouvait s’attendre à ce que l’inexpérience provoque quelques soucis. C’est loin d’être le cas puisque l’on est en face d’un quasi sans-faute. Aucun bug à déplorer, framerate correct dans la plupart des modes malgré quelques baisses ici-et-là… l’Unreal Engine semble maîtrisé et Shift Up nous offre même quelques superbes panoramas et certains jolis effets de lumières dans des séquences over-the-top. On regrettera donc un léger manque d’inspiration dans la direction artistique de certains niveaux, qui nous font passer dans de classiques égouts, des parkings ou dans des usines qui manquent un peu de folie. Ce n’est heureusement pas la norme et le jeu sait offrir des environnements plus marquants, qui font, une fois encore écho à certains endroits présents dans NieR Automata.
Danse avec la vie
Et, quitte à aller jusqu’à l’hommage de bout en bout, autant aller chercher des artistes qui connaissent bien l’œuvre de Yoko Taro pour assumer complétement la référence. C’est pourquoi Shift Up s’est entouré de Monaca Studio, un groupe créé par Keiichi Okabe, dont certains des artistes composent ici une partie de la bande-son du jeu. Si le maestro à qui l’on doit les thèmes marquants de NieR n’est pas directement à la baguette ici, ses collègues montrent qu’ils assurent très bien sans lui tout en lui rendant honneur avec des morceaux aux sonorités familières.
Stellar Blade a par exemple la chance d’avoir beaucoup de thèmes chantés qui servent à merveille l’action ou la contemplation, avec des mélodies aussi douces que pop. On reconnaît instantanément la patte de Monaca Studio sur plusieurs titres, mais c’est bien l’ensemble de la bande-son qui est à saluer. Stellar Blade ne fait pas que singer le voyage musical de NieR Automata, il apporte aussi sa petite dose de folie avec passages plus singuliers et parfois plus énervés, comme un thème de boss qui vire au métal.
Et surtout, cette bande-son a le mérite d’être adaptative et va évoluer en fonction de ce qu’il se passe à l’écran. Comme un Final Fantasy VII Rebirth, pour ne citer que l’exemple le plus récent, le tempo d’un thème va s’accélérer ou se calmer en fonction du moment où EVE sera forcée de dégainer sa lame. Les transitions sont parfaitement bien gérées, même pour les morceaux chantés. Un vrai travail d’orfèvre pour l’une des bandes-son les plus réussies de ce début d’année, et vu la concurrence, ce n’est pas rien.
Cet article peut contenir des liens affiliés