Les voyages dans l’espace ont toujours été l’un des thèmes faisant miroiter l’Homme vers les étoiles bien avant les débuts de l’astronautique moderne. Par la suite, la conquête de l’espace l’aura fasciné elle aussi en le prenant par sa soif de connaissances au-delà de sa frontière planétaire. Il ne se contente plus de ce qui réside dans sa propre atmosphère, mais le besoin de s’élever dans le ciel nourrit ses rêves d’avenir : il y voit un futur où la vie y serait possible et les voyages interstellaires donnent naissance à tout genre de scénarios aux esprits les plus créatifs. Si le thème est repris à toutes les sauces dans le cinéma, l’écriture ou le jeu vidéo, le studio indépendant The Fullbright Company basé à Portland (Etats-Unis) décide de se caler lui aussi sur les rails de ce qui fait tant rêver les Hommes et part avec sa vision de conquête de l’espace, du moins avec un scénario possible sur une station spatiale.
Le jeu « Tacoma » a été présenté lors de la Gamescom 2015 pour ensuite réapparaître lors de l’E3 2017 après un long silence intersidéral afin d’annoncer sa sortie en Août 2017. Embarquez dans une nouvelle aventure narrative, un genre maladroitement appelé « walking simulator », l’équipe de Fullbright souhaite nous immerger dans un scénario tout en apesanteur. Quatre ans après son premier jeu « Gone Home », son petit frère « Tacoma » suit les empreintes de son aîné en s’appuyant fortement sur la qualité de l’écriture soignée du scénario et la performance vocale notable des personnages rencontrés.
Sommaire
ToggleDes péripéties à sécuriser
Toute aventure narrative qui se respecte choisira d’impliquer son joueur au cœur de son scénario lui laissant libre arbitre de ses déplacements et actions au sein de son univers fictif. Quelle meilleure façon d’immerger le joueur si ce n’est d’opter pour une caméra à la première personne afin de contrôler le regard en tandem avec les intentions du gameplay. Le jeu se joue aussi bien à la manette que l’indémodable combo clavier/souris, les commandes étant très simple d’accès ne nécessiteront aucune combinaison complexe, ni demanderont des réflexes Jedi lors de la progression dans le jeu.
L’action se déroule en 2088, le rêve de conquête de l’espace est en plein essor et des colonies naissent les unes après les autres à grande vitesse autour de notre planète bleue. Les grandes multinationales profitent de cette profusion pour commercialiser des stations orbitales habitables, devenues un véritable business sans vergogne aux yeux de tous. C’est ainsi sans s’étendre plus sur une longue introduction que Amy Ferrier, sous-traitante employée par la société Venturis, est envoyée en mission de la plus haute importance (sentez le stress monter) sur l’une de leur station spatiale propriétaire nommée : Tacoma. La structure, suite à un incident grave menaçant la vie des résidents à bord, a vu ses communications réduites à néant sans autre tentative de contact depuis l’événement. C’est douze heures après qu’Amy, à bord de sa navette spatiale, arrime à la-dite station endommagée pour récupérer en priorité tout enregistrement relatant des événements tragiques et de l’extraction de l’intelligence artificielle à son bord, une sorte d’assistance électronique avancée à la Jarvis (Ironman), appelée : ODIN. C’est à cet instant qu’Amy, animée par notre soif d’en connaître plus et de mener la mission à bien, s’engouffre dans les entrailles métalliques de la station qui semble déserte.
Rapidement, la station suggère de nous équiper de la technologie ARdware (quel jeu de mots …) pour faciliter la progression avec l’interface électronique installée au sein de la station. Une sorte de Google Glass communiquant directement avec le cortex sensoriel qui se présente sous forme de pastilles high-tech qui se collent de part et d’autres de la région inférieure du crâne derrière les oreilles. Si cet outil permet d’interagir directement avec l’IA de la station, s’affiche également une interface rappelant beaucoup celle de Dead Space (EA) dans son utilisation.
l’ARdware n’est pas qu’une simple interface permettant d’ouvrir les écoutilles de la station et vérifier ses mails intergalactiques.
En effet, l’IA synchronise la position des personnes équipées de ces pastilles permettant de retracer leurs parcours, leurs gestes et leurs discussions au sein de la station. Ces possibilités sont fort heureusement en accord avec la mission qu’Amy endosse et lui permettent de récupérer toutes les données nécessaires comme le stipule son contrat de mission.
La station n’a rien d’un dédale de couloirs, la disposition des salles est très simple à mémoriser et il est impossible de se perdre car tout est noté en surbrillance par l’interface ARdware ou par des codes couleurs séparant les zones. Durant la visite et l’extraction des données de l’IA à l’entrée de chaque zone, les lieux de vie de la station sont visitables ainsi que les quartiers personnels des membres de l’équipage disparus. C’est dans ces lieux de vie qu’Amy tirera parti de la technologie embarquée de l’IA pour revivre les événements passés. En effet, toutes les actions des résidents ont été enregistrées mais une partie de ces enregistrements est détériorée créant des discussions dignes d’une chaîne cryptée de Canal+ ou des artefacts visuels à la lecture des documents informatiques.
Lors de la recherche des points d’accès de l’IA pour sécuriser ses données, l’apparition de dialogues entre plusieurs personnages surviendra accompagnée d’une interface permettant de naviguer dans le temps sur une durée limitée à souhait. Ce procédé remémore d’une certaine façon le gameplay de « Remember Me » (Dontnod – Capcom) et son interface permettant de revivre les souvenirs de certaines cibles pour en modifier le contenu ou extraire des données cruciales. Ici, l’idée est la même, sauf que des avatars numériques aux couleurs différentes, en rapport à leur fonction, viendront incarner les protagonistes lors des dialogues retranscrivant leurs actions et sentiments. Cependant, l’interaction restera passive au déroulement des discussions, impossible de changer le cours des événements. C’est ainsi que les premières données relatant de la vie à bord de Tacoma paraîtront floues et n’expliquent en rien la disparition de l’équipage. C’est par la suite, à force de récupération de données qu’elles révéleront la nature de l’incident qui les aura coupés de toutes communications avec l’extérieur.
Les conversations auront lieu à différents endroits de la station, relatant de la vie et les relations interconnectées des personnages.
Il ne sera pas rare que deux ou trois conversations démarrent à quelques intervalles près aux dialogues premièrement rencontrés. Ainsi, les personnalités de chacun se dégagent laissant la fenêtre ouverte à l’empathie envers l’équipage confronté à cet incident tragique qu’il faudra déceler dans les dialogues et documentations éparpillés sur la station. Ces entrecroisements de dialogues rendent les lieux désertiques plus vivants. L’absence d’équipage se fait oublier et les espaces de vie prennent tous leurs sens de par les dialogues et les objets de la vie courante abandonnés comme si le temps s’était figé. Les relations entre ces six personnes prennent forme au gré des débats, ainsi que les journaux de bord visualisables permettent de se la jouer Big Brother en s’insinuant dans la vie privée de chacun (correspondances, musiques, notes personnelles, photos…) apportant par l’occasion encore plus d’éclaircissements sur leurs relations et personnalités. Une ancienne vie se dégage alors des lieux qui semblaient si aseptisés de toute âme au premier abord donnant ainsi un sens à toute la structure environnementale de Tacoma.
La manette tendue vers le sensible
Le jeu vidéo est un art dans lequel les artistes cherchent à parler à vos sens, un peu comme une peinture qui, de ses clairs obscurs, joue de teintes de séduction pour vous impliquer personnellement dans le récit conté au travers des agencements de formes et de couleurs sur la toile. Rien n’est différent dans le récit et les visuels de Tacoma. À travers ces avatars colorés, Fullbright s’attaque à un thème difficile à aborder et à retranscrire : l’émotion humaine.
Sa simple représentation est sans nul doute un défi immense pour l’artiste en quête d’empathie dans ses tableaux depuis plusieurs siècles jusqu’à nos jours. Demandant non seulement connaissances anatomiques mais également psychologiques et psychomotrices. Il est alors facile de s’imaginer la tâche colossale que de retranscrire l’émotion humaine à travers six personnages ayant chacun leur propre personnalité, traversant une situation de crise qui semble sans issue. Les réactions sont différentes face à une telle situation, sans doute mettant à rude épreuve les nerfs de tout un équipage en quête de solutions pour s’en sortir. C’est à cet instant que toute la puissance narrative restitue la qualité d’écriture du scénario car, comme chacun d’entre nous sommes véhiculés par des objectifs issus ou non de relations affectives nous donnant la force pour nous battre, une résilience à faire face à la peur, un espoir vers un lendemain meilleur. La situation fait ressortir de ces avatars ce qui est humain en nous : l’accroche à la vie devient palpable aux faits et gestes des six résidents de la station spatiale qui passeront individuellement par tout un panel d’émotions qui pourraient dénaturer le jugement d’une situation cruciale ou réussir à canaliser la peur d’un camarade.
Emouvoir, voilà le maître mot de toute cette… balade spatiale.
La joie, l’amour, le doute, la confiance, la peur, la confusion, la fierté, le courage… le panel d’émotions est bien long sans aborder les nuances qu’elles peuvent déceler. La situation critique de la station Tacoma met en avant la nature humaine face à une probable fin sous quarante-huit heures. Une vie communautaire se déroulait dans les couloirs reliant les différentes zones de la station Tacoma et Amy Ferrier en est le dernier témoin, impuissante face aux récits relatés des enregistrements. Ces récits décousus sont le puzzle du jeu impliquant le joueur à réordonner les événements pour donner du sens au chaos narratif qui pourrait s’installer. Durant l’accumulation de données, des révélations autour de la station pourraient être découvertes rendant tout cet enchevêtrement de relations plus juteuses.
Un objectif sans gravité
Tacoma cherche à faire naître l’empathie du joueur envers les personnages mais ne parvient pas à son but premier car il n’y a véritablement aucun sentiment qui parvient à naître durant l’exploration des lieux. Pourtant tout y est, les dialogues avec une prestation vocale de bonne qualité, de la documentation pour compléter l’histoire des personnages et des environnements permettant de refléter le profil psychologique de ceux-ci, surtout dans leurs quartiers personnels. Tous animés par des objectifs et des relations humaines les poussant à monter à bord d’une station spatiale en orbite autour de la Terre pour un futur plus glorieux. Cependant, ce n’est pas assez pour créer une attache avec l’équipage durant la courte durée de vie du jeu entre 2 et 3 heures seulement.
Il en va de même pour les thèmes abordés qui sont tout juste effleurés : l’abus du capitalisme financier à la dérive, la place de l’homme dans la société de demain, l’intelligence artificielle et son libre arbitre, l’éducation. Projetant Tacoma au statut d’une œuvre visionnaire d’anticipation plus que de la science-fiction. La réflexion du joueur à ces sujets n’est jamais sollicitée ni développée dans la documentation ou les débats des protagonistes alors qu’il y a champ libre et aurait apporté une dimension intellectuelle intéressante à l’ensemble.
Less is more.
Trailer Tacoma
Conclusion du test Tacoma
En voulant dépasser son premier jeu Gone Home, le studio Fullbright ne parvient pas à maintenir la cadence de sa narration et survole des thèmes qui auraient pu être beaucoup plus percutants. Certes ornés de bonnes intentions, l’ensemble est tout de même honorable et raconte une histoire aux thématiques modernes. Il est tout de même difficile de défendre un jeu n’ayant pas totalement réussi à plonger le joueur dans son univers et l’impliquer émotionnellement. Raconter l’histoire de six personnages autour d’un événement majeur était peut-être une aventure trop importante pour la jeunesse du studio. L’histoire condensée ne permet pas d’incarner correctement notre rôle que les crédits déroulent déjà laissant l’âpre impression d’une fin expéditive. Quatre ans après un joli départ avec Gone Home, on s’attendait à quelque chose de plus dense dans son scénario et plus poignant dans les émotions véhiculées. Il faudra faire l’effort d’endosser le rôle assigné au risque de passer à côté de l’aventure et quitter la station physiquement plus tôt que prévu avec une rupture de contrat à l’amiable. The Fullbright Company semble toujours chercher l’équilibre parfait de son alchimie entre l’implication émotionnelle dans la narration et le gameplay. Cependant, il est à rappeler que les Grands Maîtres ont dû essuyer bien des échecs pour atteindre la renommée qu’ils ont aujourd’hui.
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