Atout charme de la dernière édition de l’AG French Direct, The Outbound Ghost a forcément tapé dans l’oeil des personnes passionnées de RPG old school avec en plus cette esthétique toute mignonne directement inspirée des Paper Mario.
Evidemment, Conradical Games souhaite davantage qu’être identifié comme un hommage ou une inspiration. Il désire proposer toute en légèreté un récit porteur de thèmes sérieux en réalisant un gameplay unique où se mêlent des ingrédients tirés de RPG reconnus.
Objet d’un découpage au sujet de son planning de sortie, le titre suisse est sorti depuis le 20 septembre sur PC, mais pénètre enfin les stores PlayStation et Nintendo, respectivement depuis le 30 novembre et le 1er décembre. C’est sous l’angle de la dernière machine de Sony que nous vous livrons notre avis.
Conditions de test : Nous avons joué une douzaine d’heures à la version physique PS5 de The Outbound Ghost, en 1.000.000, puis en 1.001.000 et enfin en 1.002.000. Ce temps nous a permis d’arriver au bout de l’histoire et son endgame en mode Normal. Nous avons utilisé à quelques reprises les modificateurs de points d’expérience, de dégâts infligés et subis prévus par le jeu. Le test contient en septième partie des spoils de mise en scène du récit.
Contexte supplémentaire : Nous avons eu dans les mains, comme le public, une version injouable de The Outbound Ghost. Le studio de développement Conradical Games a tout de suite pris connaissance et œuvré pour que le jeu soit aussi propre qu’il le fut sur Steam depuis le 20 septembre. Au fil des jours, certains soucis ont été réglés, d’autres persistent, que ce soit sur PlayStation ou Nintendo Switch. Ainsi, à l’heure où l’on écrit, la page Steam du jeu a été modifiée et le titre subit des corrections en interne tout en n’étant plus accessible à l’achat. Conradical Games reproche à Digerati, l’éditeur du jeu, sa gestion de la situation. Actions en justice, volonté de repasser en auto-édition, upgrades futurs, et d’honorer les contreparties pour les backers Kickstarter, Conrad Grindheim souhaite reprendre en main l’avenir de son jeu. Digerati détient également sa version et compte également faire valoir sa position. Plus d’informations au sein des articles consacrés de nos confrères PC Gamer et Nintendo Life.
Sommaire
ToggleDe l’autre côté du miroir
Tout commence après une brève cinématique de présentation de la contrée de Outbound, où l’on se retrouve brusquement aux commandes d’un petit fantôme appelé par défaut Sapphire, près d’un accident de voiture, sans trop savoir ce qu’il se passe, même si déjà une petite idée nous traverse l’esprit.
Comme notre héros malgré lui, on ne sait pas vraiment quoi faire ni ou aller, alors on se laisse mener par les rares chemins possibles orchestrés par le tutoriel. On finit par croiser d’autres fantômes, eux aussi « coincés » dans cette dimension spectrale, dont Mary et Michael. Ce dernier mentionne d’ailleurs un certain tueur en série, selon lui responsable de la disparition intégrale de la population de Outbound, et ne tarde pas à déjà accuser notre héros de ces méfaits.
Sapphire va donc mener l’enquête tout en essayant de savoir ce qu’il fait là, lui qui, bien évidemment, souffre d’amnésie et de mutisme, dans un monde où les âmes errent et ne font leur ascension vers l’au-delà que lorsqu’elles sont en paix.
Parallèlement, on commence à faire connaissance avec ce qui vaut au jeu la comparaison avec d’autres RPG : l’association entre séquences d’exploration et combats au tour par tour contre des Apparitions, les ennemis du jeu.
Les premières nous laissent nous promener dans la limite des mouvements disponibles. À part un bref dash, Sapphire ne dispose pas initialement d’autres actions de déplacement et ne peut suivre que les chemins balisés plus ou moins nettement. Bien évidemment, des secrets attendent d’être découverts derrière des cascades, au creux d’un rocher en angle mort de caméra, ou encore au détour d’un accès caché par des buissons.
Ces chers buissons révèlent également leur utilité à se cacher et ainsi échapper aux Apparitions. Patienter et les prendre par surprise constitue aussi une approche intéressante, vu l’avantage de puissance conféré en début d’affrontement avec notamment l’initiative du combat.
Une fois les premières confrontations lancées, les habitués du tour par tour risquent de retrouver assez vite leurs repères. Sapphire ne se bat pas lui-même, car ce sont des chimères qui se chargent de faire le boulot à sa place. Attaque classique, compétences spéciales, altérations d’états, barres de vie et de mana, les ingrédients sont connus.
Casper Mario
Pour la très grande majorité des actions effectuées, une barre de timing apparaît à l’écran. En appuyant au bon moment, l’action se lance, et jouit même d’un effet boosté si la flèche atterrit dans la zone parfaite.
Selon l’action choisie, le timing est plus ou moins facile à placer, et si on est assez frustré de certains mouvements de barre légèrement déroutants au cours des premières utilisations des compétences les plus efficaces, le système amène un peu de dynamisme au combat, ce qui est bienvenu.
Pour agir, les chimères ont besoin de points d’attaque (PA). À chaque tour elles en gagnent un, de quoi intervenir basiquement une seule fois, mais il existe des manières de monter ce nombre de points, soit en défendant, soit par le biais de compétences.
Ainsi, il est possible par exemple de préférer encaisser un coup à moitié moins de dégâts, mais de bénéficier au prochain tour de deux actions possibles d’affilée, pour peu que la chimère possède plusieurs points d’attaque en réserve, les PA max étant différents selon la chimère utilisée.
Cet aspect du gameplay apporte sa pierre à l’édifice stratégique que tout bon RPG au tour par tour se doit d’adopter. Cette dimension s’étend d’ailleurs aux chimères elles-mêmes. En plus de constituer une sorte de job déguisé, chaque chimère représente un sentiment ou un trait de personnalité, dont le nom se lie intimement avec sa fonction.
Les plus parlants restent sans doute Insensibilité, véritable tank de l’escouade, dont le rôle est de prendre les dégâts pour les autres, ou de leur partager des PA ou des PV, ou bien Camaraderie, qui affiche tout un tas de compétences liées au soin ou au boost de stats.
Bien d’autres sont à rencontrer au fil du jeu, soit obligatoirement grâce au scénario, soit en explorant un petit peu et en dénichant des tombes cachées. Ces tombes lancent un combat spécial contre la chimère souhaitée, et celle-ci devient vôtre en cas de victoire.
Un gameplay bien vivant
Au bout de quelques heures, on parvient déjà à bénéficier d’un choix intéressant de chimères, que ce soit en quantité ou en variété, de quoi constituer à notre convenance une équipe jusqu’à quatre membres maximum, en fonction par exemple du type d’Apparitions rencontrées.
Toutefois, en mode Normal, et en participant à un maximum de combats, on se sort d’à peu près toutes les situations avec la même équipe depuis le début et seules les deux-trois dernières heures de jeu nous pousse à revoir notre copie.
Au cas où vous ne trouveriez pas le gameplay assez riche et profond, comptez sur la présence d’Aspects, des badges capables de modifier de bien des manières les stats ou les compétences des chimères.
Du classique boost passif, en la présence d’un taux de défense, de puissance, ou de PV augmenté, à l’ajout de compétences offensives ou défensives, en passant par des badges plus originaux, comme ceux affectant la barre de timing, et bien d’autres encore, les Aspects apportent encore plus de personnalisation au visage que l’on veut donner à son équipe.
Bien qu’utiles, ces Aspects s’obtiennent en petite quantité au cours de l’aventure. Tout d’abord, il faut trouver leurs recettes, disséminées sur notre chemin, puis il reste à récolter les ingrédients nécessaires à leur fabrication et à posséder une gemme d’aspect. Enfin, rendez-vous à une enclume afin de forger l’Aspect désiré.
Or, s’il est aisé de cumuler les ingrédients, trouvés dans des coffres, par terre, ou en récompense de fin de combat, les gemmes d’aspect, elles, demeurent bien plus rares en comparaison. Et bien qu’il soit possible de déconstruire les Aspects pour récupérer les gemmes, les ingrédients utilisés au préalable sont définitivement perdus.
Il manque alors peut-être un peu de souplesse ou d’équilibrage sur ce système pour constituer un plein succès surtout que l’on se confronte à peu près au même souci que concernant les chimères, à savoir que passé les premiers Aspects équipés, on parvient à progresser sans en changer ou réfléchir à une nouvelle association.
En tous les cas, un RPG avec un tel potentiel de gameplay semble surtout parler aux habitués du genre, mais que nenni. Conradical Games a tenu à ce que tout le monde puisse profiter de The Outbound Ghost, et de la manière dont ils souhaitent. Au-delà les différents modes de difficulté, allant de Facile à Spectre (Très Difficile), les développeurs nous ont concocté des paramètres supplémentaires.
Dès le départ, on a alors accès à des options de randomisation, à la possibilité de commencer avec toutes les chimères du jeu, ou même de faire varier le taux de dégâts subis, de ceux infligés et de l’expérience récoltée, allant de 0 à pas moins de 500%. Une personnalisation de l’expérience assez poussée et rarement vue pour un jeu du genre que nous saluons, l’ouvrant ainsi au plus grand nombre.
Charme illusoire
Maintenant, dès lors que l’on sort du champ du gameplay, il est compliqué de rester charmé par The Outbound Ghost. Certes, il nous accompagne avec des musiques fort sympathiques, composées par Kimmsoft, rappelant les RPG d’antan tout en apportant sa petite touche de modernité.
En résulte un ensemble globalement chill, à l’image de l’ambiance souhaitée par le titre en retrouvant un peu de « Mark of a Traitor » de Final Fantasy VII dans le village de Ravenside, ou encore « Buried in Snow » dans la zone enneigée du jeu.
Du côté des environnements, en revanche, on constate de la variété et une envie de proposer un certain cachet, mais les escapades se révèlent plutôt ennuyeuses. Certaines zones sont vastes pour pas grand-chose, et si les objets se retrouvent en nombre dans les villes, on peut passer plusieurs minutes sans croiser le moindre objet au sol. Le marais du chapitre 1 rentre pleinement dans ces cas de figure.
Les énigmes ne bénéficient pas d’un meilleur traitement de faveur. Eteindre ou allumer des torches, sans ordre particulier, sans faire appel à la mémoire ou la logique, restera l’unique modèle de casse-tête et sans aucun doute le symbole de cette exploration superficielle.
Et la donne ne s’améliore pas avec la présence de salles où il n’y a purement et simplement rien à faire, et nous sommes pris parfois de l’impression qu’il y aurait pu y avoir des éléments de prévu mais qu’un temps insuffisant ou qu’un abandon d’idée est passé par là. Un sentiment qui touche à peu près tous les compartiments du jeu où, souvent, le titre indé peine à cacher son manque de finition, y compris sur des éléments censés être pratiques.
En relation au confort du joueur, par exemple, on note des carences de lisibilité flagrantes au sujet des cartes du jeu. La mini-map affiche des icônes pixellisées de couleur, synonymes d’informations sur les trésors, ennemis, personnages ou points d’interaction autour de nous. En faisant ce pari du minimalisme, la conséquence est qu’on ignore tout simplement la plupart du temps l’outil.
Les cartes de zones, récupérées dans des coffres, ne font pas mieux en ne servant presque qu’à activer le point de voyage rapide local. Une simple démonstration de la disposition des lieux, ne permet d’illustrer qu’en surface vers où on se dirige en choisissant tel lieu, mais aucun schéma ou disposition de salles n’a été conçu.
Autre victime d’inaboutissement, le crochetage de porte. Le seul mini-jeu de The Outbound Ghost se traduit par l’affichage d’une grille sur laquelle on doit amener un tournevis à un cadenas, en déplaçant les goupilles bloquant le passage. En cas de succès, des trésors ou la suite de l’aventure nous attendent généralement pour nous récompenser.
Seulement, ne proposant aucune difficulté, pas même un début de creusage de méninges, on se demande si cela valait bien la peine d’intégrer une telle mécanique, et pas opter simplement pour une clé, ce qui est aussi fait par moment, si jamais les développeurs ne souhaitaient pas bloquer longtemps leur public.
Âme en peine, surtout sur consoles
Mais s’il existe un domaine où les soucis s’accumulent de toutes parts, c’est bien la technique. Sur console, le constat est plutôt embêtant, où le jeu peine régulièrement. Le décor clignote trop souvent, avec un clipping quasi omniprésent, gâchant copieusement le charme investi dans la direction artistique. On assiste même à des toits qui changent progressivement de couleur à mesure que l’on s’approche ou s’éloigne d’eux.
Certaines textures gardent les traces d’une build antérieure, avec par exemple des arbres dont les feuillages sont constitués d’une accumulation de rectangles, tandis que d’autres modèles n’apparaissent tout simplement pas. Les effets de lumière et d’ombres semblent être passés à la trappe. Des problèmes techniques qui rendent l’exploration assez éprouvante, elle qui peine déjà à maintenir notre intérêt.
Aussi, et surtout, les joueuses et joueurs PlayStation ou Switch sont dans l’obligation de jouer à la version 1.1.0 de The Outbound Ghost. Sans cela, et en possession d’une copie physique, on fait par exemple, sur PS4/PS5, la mauvaise expérience du softlock, autrement dit d’un bug de lancement de script à certains moments de l’aventure, empêchant la progression.
En ce qui concerne la Nintendo Switch, des défaillances d’input lag ou de framerate avaient été rapportées et semblent désormais réglées. Heureusement, tant de tels problèmes pénalisaient l’expérience, la rendant ainsi laborieuse.
À l’heure où l’on écrit ces lignes, d’autres soucis persistent sur ces supports, comme le clipping abordé au-dessus, ou ont fait leur apparition. Un gros out of bound (une sortie des limites du décor) nous est arrivé, à cause d’une collision entre nos personnages et l’environnement toujours aussi perfectible.
Il faut noter que les développeurs, déjà au charbon sur les nombreuses coquilles du jeu à la sortie console, en sont conscients et ne se cachent absolument pas derrière, ce qui est une bonne nouvelle pour l’avenir de la qualité technique du titre. Mais le temps joue tout de même contre eux, et un grand mal a déjà sévi depuis le 25 novembre.
Outbound, monde fantôme
Cela étant, est-ce que ces errances mises de côté, la façade est pleinement sauvé ? Pas forcément. Des problèmes inhérents à l’écriture et la réalisation, dont nous n’avons pas encore parlé et pour ne citer qu’eux, demeurent après les correctifs. Le message de base est poétique et louable, en souhaitant parler de la mort, du deuil et d’autres thématiques liées.
Dans les faits, le récit reste plutôt plat. On assiste à des ellipses pour que les PNJ se mettent au courant les uns des autres de ce qu’il se passe, les tentatives d’humour et de références tombent souvent à l’eau, et le titre ne tarit pas de deus ex machina.
Une porte nous empêche d’aller plus loin. Pas de problème, ce bon vieux Frank, un des personnages récurrents dans l’intrigue, nous apprend qu’il était serrurier de son vivant, quelle aubaine ! Plus loin dans l’aventure, on fait face à une nouvelle porte verrouillée. Notre personnage, étonné – et qui n’est à ce moment-là plus Sapphire – demande à son compagnon Levi où a-t-il appris à crocheter. Il lui répond alors qu’il avait tout simplement la clé. Pourquoi ? Comment ? « Je te le dirais peut-être plus tard », nous confie-t-il. Spoiler : nous n’aurons jamais la réponse.
Quand ce n’est pas aussi grossier, on peut toujours compter sur un passage secret, sur un raccourci magique ou encore un personnage caché dans le décor et qui a tout vu ou tout entendu, pour que l’intrigue reste sur les rails. Mais à part renforcer ce sentiment de bricolage, ça ne suffit évidemment pas, et on sort complètement du récit, en se demandant quel sera le prochain claquement de doigt.
Et ce n’est pas le découpage en trois parties, symbolisé par le fait de contrôler trois groupes différents, qui va sauver les meubles. Bien au contraire, on ne sait plus qui fait quoi, qui chasse l’autre. Les personnages changent parfois de motivation en cours de route sans trop de raison et vont même quitter l’aventure d’un coup. D’autres changent de personnalité, en passant de personnage muet et central à un rôle de side kick ayant retrouvé l’usage de la parole, par la simple volonté du scénario.
Ce monde qu’on traverse, également, n’offre rien qui puisse nous donner de l’attachement fort à son égard. Même si, visuellement, les lieux habités bénéficient eux-aussi d’une certaine variété, dès que l’on explore, là encore, on déchante. Prenons juste le centre-ville, où toutes les maisons se ressemblent et font preuve du même vide intérieur.
Pas même une quête annexe, un mini-jeu ou une intrigue secondaire ne viennent donner un peu de vie à nos escapades, et le maigre backtracking possible afin de récupérer des trésors ou des chimères cachées ne suffit pas pour s’imprégner de ce monde.
Le constat ne s’améliore pas au niveau du chapitre 4. On assiste à une sorte de retour progressif dans le temps, où on retraverse le jeu mais cette fois à reculons, avec un effet de mise en scène intervenant huit fois, et déjà pénible au troisième coup. Le calice jusqu’à la lie.
Persiste alors ce sentiment, évoqué plus tôt, que des ambitions furent bel et bien dans les têtes des développeurs sans avoir pu pleinement toutes les concrétiser ni les mettre à l’endroit. et que la manière dont ces idées ont été déployées gâchent le matériau pourtant engageant de base, avec ce style graphique et ce postulat de départ intéressants.
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