Près de dix ans après le premier opus et au cours d’un PlayStation Showcase, The Talos Principle 2 est apparu aussi étonnamment qu’il a suscité l’excitation des fans de puzzle-game. Initiée en 2014 sur PC, puis via un portage plus tard sur PS4 et encore bien après sur Switch, la licence a surpris son monde en proposant à l’époque une recette remplie d’intelligence.
D’abord dans la constitution de ses puzzles, où se mélangeait de logiques inspirations aux classiques du genre à des agencements d’énigmes malins et trompeurs. Mais cette recette exprimait aussi son originalité dans la manière d’emmener joueuses et joueurs dans une démarche de réflexion et de questionnement sur des thèmes épluchés depuis des siècles et des siècles par l’humanité. Les interventions de Elohim, sorte d’entité divine, ou les dialogues via des terminaux avec le Serpent brillaient par leur qualité d’écriture.
On se demandait donc comment un deuxième épisode pourrait bien appuyer davantage dans l’approche métaphysique tout en continuant à surprendre par ses mécaniques de puzzle. Disponible depuis le 2 novembre sur PC, PS5 et Xbox Series, cette suite concoctée une fois encore par Croteam et Devolver Digital nous prouve que ce savoir-faire en avait encore sous le capot.
Conditions de test : Nous avons joué à la version 2.000.002 sur PS5 de The Talos Principle 2 durant 40 heures, le temps de finir le jeu à 100% et de suivre une cryothérapie cérébrale.
Sommaire
ToggleOn peut créer une personne mille fois…
The Talos Principle 2 est une suite directe du premier opus. Certes pas tout à fait directe puisque de nombreuses années se sont écoulées entre les deux jeux, mais l’univers reste le même en maintenant une continuité scénaristique. Tout part d’Athéna, première humaine non-organique à émerger de la Simulation créée il y a des siècles par la scientifique Alexandra Drennan avant l’extinction de l’humanité. Cet espace virtuel était contrôlé par Elohim, l’entité dont nous avons parlé en introduction. et ne représente ni plus ni moins que le théâtre des péripéties vécues dans The Talos Principle.
Eveillée au sein du monde réel, elle décida d’amener à la vie d’autres robots humanisés. Ensemble, ils partirent explorer le monde afin de le rebâtir puis s’arrêtèrent à un endroit pour y construire la Nouvelle Jérusalem. Cette cité visait à accueillir une société où pourrait se développer et vivre ensemble cette nouvelle forme d’humanité, sans répéter les erreurs de notre espèce qui l’ont conduite à l’extinction. Athéna, appelée la Fondatrice, prit la décision de composer cette cité de mille humains puis disparut soudainement. Ce millième humain, nous allons l’incarner au cours de l’aventure.
Sobrement appelé 1k (« ouane kei » et non pas comme la civilisation), le personnage principal représente donc l’aboutissement du Plan établi initialement par Athéna. Et alors même qu’il savoure à peine sa naissance, une mystérieuse apparition interpelle la population sur un secret caché sur une île relativement éloignée de la Nouvelle Jérusalem. Jugée nécessaire pour l’avenir de la société, une expédition est organisée histoire d’aller vérifier sur place les dires de l’étrange entité.
Et à la surprise d’absolument personne, 1k va être mêlé à ce voyage, bien qu’il existe un choix alternatif assez drôle à effectuer. Une fois sur l’île, une vision d’une immense structure accapare presque tout l’écran. Accompagné de Melville, Byron, Yaqut et Alcatraz, la mission est claire : pénétrer à l’intérieur et comprendre à quel usage cet édifice est destiné. Pour y arriver, il va falloir se coller au cœur du jeu, à savoir résoudre des énigmes. Sur cet aspect de The Talos Principle 2, le travail effectué est digne d’une suite.
Sésame, ouvre-toi
À l’image du tout début du jeu, véritable écho du premier opus, on retrouve tout au long de l’expérience les ingrédients bien connus de la Simulation de Elohim, avec les cubes, les connecteurs lasers, les plaques de pression et autres brouilleurs. Puis on y ajoute des mécaniques inédites, telles que la gravité, et des nouveaux outils pour redistribuer les cartes et amener d’autres logiques de résolution. Les accumulateurs stockent la couleur d’un rayon sans avoir besoin de maintenir une connexion avec l’origine du faisceau. Les convecteurs RGB nécessitent de recevoir deux lasers de couleur différentes pour à leur tour diffuser un rayon d’une autre couleur (exemple rouge + bleu = vert). Enfin, dernier exemple, la foreuse crée une ouverture sur certaines surfaces permettant de faire passer des éléments à travers, avec un effet rappelant Portal ou les cercles de Doctor Strange. Bien d’autres appareils et mécaniques composent les multiples puzzles de l’aventure, de quoi renouveler régulièrement l’expérience.
Cette science du puzzle s’alimente aussi évidemment par un habile agencement des salles. Tout est fait pour qu’à plusieurs reprises les développeurs jouent un peu avec notre instinct et notre manière de raisonner. Une fois encore, il est parfois nécessaire de penser à contre-courant de ce que l’environnement nous indique d’emblée, ou bien de voir au-delà, afin de se diriger sur la bonne voie. C’est ici qu’un puzzle-game brille, par cette faculté à ne jamais nous laisser nous reposer sur nos acquis d’une énigme à l’autre, en ne projetant pas la même utilité sur un objet selon la situation à démêler. De plus, nul besoin de se presser pour les résoudre, tout est réalisable à son rythme, le tout accompagné d’une musique chill. Bref, un régal pour les cellules grises.
Une autre force de The Talos Principle 2 réside d’ailleurs dans l’équilibrage du défi proposé. Le premier épisode montait crescendo mais livrait à un moment des énigmes tellement tirées par les cheveux qu’il devenait frustrant de se prendre autant la tête. Ici, Croteam a réussi à proposer un challenge tout aussi progressif, et ses énigmes d’or, optionnelles et pics de difficulté du jeu, s’avèrent moins perchées et un poil plus abordables. Attention, on peut tout à fait passer facilement plus d’une heure sur certains casse-têtes. Comme toujours, le temps passé varie selon les personnes et dépend notamment du degré d’aisance vis-à-vis des mécaniques de puzzle. Le 100% se réalise alors certes avec peine, mais avec satisfaction. Le Dark Souls des puzzle-game ? Un résultat qui demande une certaine justesse de la part du studio, compétence dont ils font preuve ici. Dans le pire des cas, il reste les étincelles de Prométhée dont la fonction consiste tout simplement à zapper l’énigme. Nouveauté de cette suite, ces étincelles, plutôt rares, se trouvent en explorant les vastes zones qui composent l’île TTP-2.
Car oui, le studio croate a vu les choses en grand, littéralement. À l’instar de son prédécesseur, The Talos Principle 2 se constitue d’un hub, à partir duquel on se dirige vers la région de notre choix. Quatre biomes, trois zones par biomes, dix énigmes par zones dont deux un peu plus difficiles que les autres. Seulement huit d’entre elles doivent être élucidées, et ce dans l’ordre souhaité. Résoudre huit énigmes donne accès à une tour imposante, que l’on rejoint en composant un pont grâce à des tétrominos. Déjà présents au sein du précédent opus, leur utilisation s’avère ici un peu plus ludique, même si l’on s’en serait encore une fois passé. L’activation des tours participe enfin à l’ouverture d’un accès vers la fameuse Mégastructure que l’on visite une fois par biome complété. Voici la structure carrée et immuable qui définit notre progression durant la vingtaine d’heures que représente l’histoire principale. Une certaine répétitivité peut en découler, ce que la variation des environnements souhaite éviter.
La nature a horreur du vide ?
Et ce qui nous frappe de plein fouet, c’est donc la taille de ces zones que l’on traverse. Dès la première, on est pris d’un vertige et l’on se perd facilement, en accumulant des allers-retours un peu longuets, et le constat demeure pour les régions suivantes. Heureusement, des stèles disposées un peu partout nous rappellent la direction à prendre pour aller rejoindre telle ou telle énigme, et les chemins tracés nous mènent forcément quelque part. Malgré tout, on reste tenté de s’égarer. Parfois à raison, d’ailleurs. En dehors des énigmes balisées, le monde semi-ouvert détient d’autres secrets à découvrir. tels que les divers monuments occupant les lieux. Toujours par paire dans chaque zone, ils proposent un challenge au but variable, selon l’effigie du monument.
S’il s’agit de Prométhée, il est demandé de trouver le spectre violet de sa flamme et de la suivre jusqu’à la statue. S’il s’agit de Pandore, alors il va falloir réussir à acheminer un laser de la bonne couleur jusqu’à sa boîte, etc. Ces défis nécessitent de bien fouiller les lieux et occupent parfois plusieurs heures tant la solution est bien dissimulée. Certains nous poussent même à faire passer des lasers depuis des niveaux particuliers et de leur faire traverser toute la map en usant d’ingéniosité. Un superbe complément des énigmes traditionnelles qui octroie même une petite récompense en accomplissant chacun de ces défis. Se balader procure également l’occasion de profiter de décors et de panoramas qui, globalement, en jettent. Rien que la Nouvelle Jérusalem donne rapidement le ton. Dès le début du jeu, et avant même de partir pour l’exploration, il est tout à fait possible de visiter la cité.
Elle offre notamment l’opportunité de visiter le musée, rempli de clins d’œil au premier opus, de participer à des fictions interactives sur terminaux ou encore de visiter le mémorial des chats. Elle aussi d’une très grande taille, on se sent vraiment petit en la parcourant. Même sensation du côté des tours gigantesques et de l’impressionnante Mégastructure, qu’il s’agisse de l’extérieur ou de l’intérieur. L’architecture globale livre alors des visions étonnantes, voire bluffantes, et donne un coup de fouet à une direction artistique bien moins fade que celle du premier épisode. Couplée à l’utilisation de l’Unreal Engine 5, grâce auquel le rendu graphique global et les jeux de lumière demeurent très agréables à l’œil, on obtient un résultat technique vraiment propre. Et ce y compris sur console, malgré du popping de textures et des problèmes de screen space reflection en mouvement qui tachent, notamment au niveau de l’eau.
Tout de même, nos escapades en dehors des sentiers battus finissent parfois par laisser place à un sentiment de vide. Le syndrome « Est-ce qu’on peut aller là ? Ah oui » se vérifie à quelques reprises, il est vrai. Cela dit, la bonne majorité de ce qui est explorable n’apporte rien, tout du moins du pur point de vue du gameplay. Bien entendu, ce n’est pas quelque chose de nouveau dans des mondes ouverts et on imagine que ce n’est pas totalement involontaire de la part de l’équipe de développement. L’industrie comprend pas mal d’exemples où le vide sert justement à apprécier ces moments où l’on tombe sur une récompense, une surprise ou un secret bien caché.
Alors nous ne parlons tout de même pas d’un simili Breath of the Wild non plus, maître dans cette faculté à se servir du vide. De plus, The Talos Principle 2 utilise un système de boussole afin de se diriger directement vers les zones intéressantes, même si l’on regrette l’absence d’une vraie carte. Non, ici, le vide et la taille généreuse des zones semi-ouvertes servent à leur manière la contemplation, la réflexion, l’introspection. Une mise en situation propice à l’autre hélice principale de l’ADN du jeu croate : la philosophie.
Une narration « Stratonsphérique »
Les débats métaphysiques de The Talos Principle avec le Serpent (ou Milton) questionnaient notre morale et apportaient un autre regard sur de multiples thématiques. Quoi de plus logique de retrouver ce genre de discussions dans ce second opus. Et avec la présence de PNJs, non seulement ces interactions sont plus vivantes, mais également davantage diversifiées. Chaque « humain » de la Nouvelle Jérusalem ou de notre équipe d’expédition détient son propre tempérament ainsi que ses convictions, là où le Serpent était une sorte d’IA cynique. Elle avait toujours réponse à tout et semblait s’amuser avec nous, nos réponses, et n’hésitait pas à pointer nos contradictions.
Dès le départ et durant l’exploration de la Nouvelle Jérusalem, on peut donc croiser une bonne poignée de citoyens prêts à discuter de divers sujets. L’hubris de l’humanité qui l’a conduite à son extinction, épargnera-t-elle cette société d’humains-robots, aux esprits majoritairement calqués sur ceux de leurs ancêtres ? Révéler la vérité est-il systématiquement souhaitable, aussi dangereuse et choquante puisse-t-elle être ? La soif insatiable de connaissance au point de vouloir remonter jusqu’aux origines du cosmos vaut-elle la peine d’être continuellement assouvie, tandis qu’une vie faite de simplicité paraît bien plus heureuse ? Des dizaines et des dizaines d’autres questions de ce genre sont abordées tout au long de l’aventure. Attention, la Nouvelle Jérusalem n’est pas accessible à loisir, donc il faut s’assurer d’avoir fait le tour des dialogues disponibles avant de repartir pour l’île.
Toutefois, il n’y a pas qu’au sein de la cité que les discussions foisonnent. Nos coéquipiers d’expédition sont également sources d’échanges variés, souvent alimentés par les avancées du scénario. N’hésitez donc pas à aller leur parler régulièrement, puisqu’ils explorent de leur côté la zone dans laquelle vous vous trouvez. Quel que soit l’interlocuteur en face de nous, nous sommes très souvent confrontés à des réponses à choix multiples. S’impliquer personnellement dans ces choix amène parfois à de longues réflexions avant de livrer sa réplique. Et la possibilité de consulter un journal recensant le dialogue en cours (ou les plus récents) au cas où une ligne nous aurait échappé, est très appréciable.
De plus, durant ces échanges, jamais nous n’avons l’impression de répondre bien ou mal. Simplement, les personnages sauront montrer leur approbation, leur désaccord ou tout simplement leur indécision. Soulignons d’ailleurs la grande qualité de la VO fournie par les comédiens de doublage. L’expression de ces robots humanisés paraît donc authentique, et ils disposent d’une véritable personnalité, alors que tout ce qui les différencie visuellement reste minime. Du très bon travail.
Enfin, les débats fleurissent sur la page du réseau social de la Nouvelle Jérusalem. Comme toute bonne société, la cité dispose d’un espace de conversation où les citoyens s’expriment et réagissent aux évolutions de l’expédition. Les topics apparaissent au compte-gouttes et, là aussi, 1k peut répondre à la fin de certaines fil de discussions, afin de départager les interlocuteurs impliqués ou d’avancer son point de vue. En fin de compte, on passe presque autant de temps à lire et échanger qu’à résoudre des énigmes. Si l’on a pu estimer que le gameplay et la DA sont allés encore plus loin à l’occasion de cette suite, il en va de même pour les réflexions métaphysiques.
Et ce ne sont pas non plus ces innombrables fichiers textuels et audio, à retrouver au sein des différentes zones et laboratoires traversées, qui contrediront cet état de fait. Des informations sur l’histoire globale du jeu, sur la fondation de la Nouvelle Jérusalem, ou encore des dialogues entre Straton et d’autres interlocuteurs tels que Nicomaque, sont à collecter. Soyons honnêtes, participer à de longues sessions de jeu en écoutant tous les dialogues et en lisant tout ce que l’on trouve risque de donner le mal de tête. Autant d’informations sont donc à ingurgiter à petites doses, en intervertissant avec des puzzles, sous peine d’avoir la tête dans un étau et de les ignorer purement et simplement. C’est d’ailleurs tout à fait envisageable de simplement se concentrer sur l’essentiel, et d’uniquement résoudre les énigmes, mais auprès des personnes les plus motivées, l’esprit ressort enrichi de toutes ces réflexions.
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