On parle souvent du jeu vidéo comme métier-passion, avec tous les pièges et les réalités nettement moins sexy que cela implique, surtout au sein de cette industrie. Pourtant, de la passion, ce n’est clairement pas une chose dont a manqué Julien Eveillé. Ce level designer français, à l’œuvre au sein d’Arkane Lyon sur Dishonored: La Mort de l’Outsider, Wolfenstein: Youngblood et même Deathloop, puis désormais chez Crytek, ne s’est pas contenté de son emploi.
Un projet annexe, constitué sur son temps libre et d’abord pensé comme une création éphémère, est finalement devenu un jeu à part entière. Intitulé THRESHOLD, celui-ci a été autant que possible avare en information du fait de sa durée de vie express. L’attrait principal du titre s’est alors surtout dessiné autour de sa direction artistique, façon PlayStation première du nom, et de son ambiance particulièrement étrange. Après une démo « prologue », et à la suite de la sortie du jeu le 19 novembre, voyons ensemble où nous emmène cette création atypique.
Conditions de test : Nous avons joué 7-8 heures à THRESHOLD sur PC via Steam, le temps de terminer le jeu 4 fois. Plusieurs fins et secrets ont été vus, et 6 pays différents ont été choisis pour mesurer les différences entre les parties. Notez que, THRESHOLD étant un jeu très court, il est difficile d’en parler sans trop dévoiler son intrigue, ses mécaniques ou ses secrets. Nous tentons de les limiter au maximum mais attendez-vous donc à ce qu’il y ait des spoilers au cours de ce test, et notamment liés à l’introduction.
Sommaire
ToggleIl faut que tu respires
« Le boulot de maintenance le plus ennuyeux et stressant du pays », telle est la fonction dans laquelle un employé, fraîchement recruté et que l’on incarne, semble s’être empêtré. Tout commence avec un bref échange entre lui et une des rares personnes physiques qu’il aura l’occasion de rencontrer. Son nouveau contrat, signé et remis, le lie désormais à son employeur qui n’est autre que le gouvernement de son propre pays.
Son quart, autrement dit sa prise de poste, peut alors commencer. Il ne reste plus qu’à emprunter l’ascenseur et rejoindre le sommet de la montagne où l’attend MO, un autre employé, chevronné quant à lui et avec qui les rotations seront effectuées. Au cours de l’ascension, les messages tout le long du mur sont clairs : « le train doit rester en marche ». Voilà la nature de ce boulot dont les qualificatifs évoqués au début de cette partie appartiennent justement à MO.
Des propos écrits, d’ailleurs, car au cas où nous n’aurions pas vu les pictogrammes avant de rejoindre le sommet, on nous informe rapidement qu’en haute altitude, le silence est d’or et le souffle précieux. Chaque information ou prise de parole effectuée par MO s’effectue par des notes qu’il déchire de son carnet. De cette manière se déroulent alors les conseils prodigués et le tutoriel de cette prise de poste. Nous remplaçons NI, notre prédécesseur visiblement plus en mesure de tenir son rang.
MO nous amène directement à l’essentiel, la Corne. Cet instrument imposant est destiné à orchestrer la cadence du train, le cœur de ce travail. Ni trop lente, ni trop rapide, la vitesse du train doit être calée avec le Rythme Attendu, décidé par la capitale du pays. La petite subtilité, c’est que le train ralentit naturellement. L’autre information, et qui peut paraître anodine de prime abord, c’est que la Corne s’active grâce à un sifflet. Or, ce dernier est lui-même déclenché grâce… au souffle.
Oui mais voilà, comme on nous l’a précisé, l’oxygène est une ressource rare, et après un coup de sifflet en guise de test, la vision se trouble et la sensation de suffoquer se fait rapidement ressentir. MO nous tend alors une cannette d’air. Un objet à la fonctionnalité éloquente, mais à l’apparence et à l’utilisation assez dérangeantes, en témoigne la marque des dents un peu trop réaliste dessinée aux emplacements dédiés.
Et c’est dans un mélange de bris de verre et de douleur que notre protagoniste remplit ses poumons. Le petit écran affichant la bouche de notre personnage et indiquant la quantité d’effort qu’une action nous coûte, nous montre d’ailleurs la blessure de plus en plus importante que ces consommations répétées nous infligeront. Un détail tout aussi intéressant que dérangeant.
Débarrassé de l’appareil au sol, dont les restes gisent au milieu d’une flaque de sang, comme un marquage de ce qui va devenir notre nouveau territoire, on est convié à se rendre du côté du distributeur de ticket. Basé sur la fréquence de passage des wagons, il fournit donc un ticket à intervalles réguliers, et un ticket nous donne accès à une cannette d’air, lorsque celui-ci est inséré dans le bâtiment à l’opposé de notre position.
On commence alors doucement à comprendre, et non sans regret, la routine qui nous est désormais imposée. Jongler entre le maintien de la vitesse du train et notre propre survie, tout en étant capable de doser l’énergie épuisée au fil de nos allers-retours répétés. « Le boulot de maintenance le plus ennuyeux et stressant du pays ».
Et j’entends grincer le train
En quelques minutes, Julien Eveillé parvient donc à planter le décor en introduisant son personnage-clé, la boucle de gameplay attendue et l’atmosphère angoissante qui nous accompagnera tout au long de son aventure. Nous l’avons évoqué en introduction, cette ambiance brille en grande partie par son esthétique rétro, hommage à la PSX et aux jeux des pays de l’est. Ce n’est cependant pas tout puisque la musique se fait remarquer par son absence. Loin de tout, perché au sommet d’une montagne, et responsable d’une tâche des plus basiques, seul le sound design se charge de nous placer dans une bulle.
Les bruits des tickets distribués ou insérés, ceux de nos propres pas, ou encore tout simplement tous ceux provoqués par le train rythment notre journée. Plus précisément encore, ces bruits s’induisent dans notre routine. D’abord stressants par leur nature qui nous est au départ inconnue, ils finissent par faire partie de notre environnement, de cette mécanique aliénante.
C’est typiquement le cas de l’arrêt du train, dont le grincement précède toujours une perte de vitesse. Et en même temps, bien qu’accommodé à ce cadre sonore au fur et à mesure des minutes écoulées, cette boucle qui est la nôtre ne devient jamais pour autant un long fleuve tranquille, la faute à divers happenings que nous vous laissons découvrir.
Aussi, prenant place au sein d’un seul environnement, il est intéressant de voir, en marge du train-train que le jeu nous impose, à quel point il arrive à nous laisser quand même une petite fenêtre pour que s’exprime notre curiosité. Régulièrement, un deuxième ou troisième passage à un endroit nous révèle la présence d’une cannette d’air cachée, d’une interaction possible ou encore la possibilité d’observer un point d’intérêt. Des éléments à côté desquels nous sommes passés jusqu’ici, souvent pris par la pression initiale de notre tâche.
Ces points d’intérêt, justement, amènent notre protagoniste à se faire des réflexions, voire à se poser des questions, si l’on pose son regard suffisamment longtemps sur eux. Des réponses pourront alors être données (ou pas) par MO, joignable régulièrement et prêt à vous accompagner pendant quelques secondes. Les représentants de la capitale du pays sont eux aussi susceptibles de vous aider mais, là encore, on ne vous précisera pas ni où ni comment.
On en vient alors à un autre point fort de THRESHOLD : sa manière de nous distiller ses (sombres) secrets. Bien que MO nous introduise à notre nouveau poste, il omet, volontairement ou non, certains détails. Pourquoi des cannettes d’air avec une consommation si douloureuse ? Pourquoi des tickets pour en obtenir ? Qu’est-il arrivé à notre prédécesseur ? Et puis que contient ce train de si important pour que le gouvernement veille d’aussi près à ce que tout se passe bien ?
L’horreur se situe aussi là, où l’ignorance participe au malaise ambiant. Encore une fois, des questions trouveront réponse, d’autres non, mais c’est bien logiquement que nous allons être amenés à vouloir gratter cette surface et essayer d’en savoir plus…
Message au peuple
Vous l’aurez peut-être compris, THRESHOLD est porteur de messages, très politiques par ailleurs. Au niveau des premières couches, on peut y repérer de l’anticapitaliste, avec un besoin de productivité arbitraire où l’aspect rudimentaire de la tâche demandée réduit l’individu à un vulgaire chaînon facilement interchangeable. Un propos écologique aussi, sans doute, appuyé par le fait que le jeu soit basé sur une histoire vraie.
Mais le titre est matière à d’autres réflexions supplémentaires. On pourrait y voir par exemple un rapport à l’autorité, à effectuer des tâches en acceptant ses conditions, pourtant inquiétantes voire sordides en apparence. Toutefois, tenter de creuser davantage pourrait occasionner davantage de spoil, donc on s’arrêtera là. Cela étant dit, nul doute qu’à force de rejouer au jeu, d’autres éléments vous viendront en tête, de quoi nourrir vos propres réflexions.
Car oui, d’une durée d’1h/1h30, THRESHOLD se dote quand même d’une certaine rejouabilité. Rien que la présence des traditionnelles fins multiples, ou encore de petits mystères et subtilités que l’on aurait loupé durant la première run, valent de nouvelles parties.
Maintenant la principale curiosité réside surtout au niveau du choix de notre pays d’origine, présent au début de partie. Un total de 24 nations est sélectionnable, allant des grandes puissances mondiales que sont la Chine, les USA ou la Russie, à des pays comme l’Éthiopie, l’Indonésie ou encore les Philippines.
Sur le papier, l’idée est intéressante. Quelques subtilités scénaristiques se trouvent dans les dialogues, et le nom de la montagne dans laquelle on se trouve varie en fonction du pays choisi. Encore plus original, Julien Eveillé précise que le choix de la nation impacte la difficulté du jeu (on vous a dit que le jeu était particulièrement politique ?). Si une énième fois on vous laissera remarquer vous-mêmes les différences, il convient de préciser qu’à notre sens, les variations, bien présentes, restent subtiles.
Au rang des rares couacs, quelques bugs ont pu être rencontrés, en sachant qu’ils sont activement corrigés par le développeur. De notre côté, et passé un certain cap durant l’aventure, des freezes arrivaient régulièrement. On a aussi pu regretter que le distributeur de cannettes d’air se retrouve bloqué en enchaînant trop rapidement les tickets, ce qui est particulièrement handicapant vous en conviendrez.
Cela dit, nous clôturerons ce test par quelque chose d’absolument insoupçonné et potentiellement quasi jamais vu dans un jeu. Conçu pour être joué en configuration QWERTY, THRESHOLD identifie dès le départ si vous êtes en clavier AZERTY, et vous propose un basculement instantané.
Autre fonctionnalité sympa, le titre offre deux niveaux de backseat. En gros, soit le protagoniste émettra ses pensées régulièrement pour nous aiguiller, soit ce sera beaucoup moins le cas. Le jeu pouvant paraître un peu trop cryptique par moment, ce choix demeure appréciable. Deux attentions qui ont l’air « bêtes » comme ça mais dont tout le monde devrait s’inspirer.
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