« Nous sommes les Tortues Ninja. Nous frappons fort et disparaissons dans la nuit ». Voici une phrase célèbre proclamée par les tortues dans diverses itérations. Une citation résumant à elle seule la franchise : l’absurdité de ces shinobis amphibiens aussi redoutables que discrets, évoluant loin des regards, ninjutsu oblige. Créées en 1984 par Peter laird et Kevin Eastman, d’abord comme comics – sorte de parodie de Daredevil mais qui en garde le côté sombre – une adaptation animée ne tardera pas à voir le jour. Si la série de 1987 trahissait volontairement le ton mature pour viser les enfants, les adaptations suivantes, particulièrement celle de 2003, également la version 2012, parviendront à trouver un juste équilibre entre légèreté pour toucher les plus jeunes, et une certaine maturité, en complexifiant la psychologie des personnages. En revanche, la revisite opérée par les scénaristes du long-métrage Ninja Turtles : Teenage Years, outre la radicalité de sa direction artistique, étonne par ses choix de réécritures. Avec TMNT : Mutants Unleashed, le studio Aheartfulofgames s’inscrit dans la continuité du film, mais plaçant son intrigue peu de temps après les événements contés dans ce dernier.
Conditions de test : nous avons joué sur PS5 durant une petite dizaine d’heures. Le jeu n’a pas été terminé à 100%, mais nous avons fini l’histoire ainsi qu’une bonne partie du contenu. Précisons que le testeur connaît bien la franchise, que ce soit les adaptations animées, live action, vidéoludiques ou en comics.
Sommaire
TogglePizza Time !
Sans revenir précisément sur le film lui-même, nous sommes obligés de le mentionner du fait de l’intrigue de TMNT : Unleashed. Sans être indispensable à la compréhension, il est quand même chaudement recommandé d’avoir visionné le long-métrage pour savoir où l’on met les pieds et ne pas être choqués de découvrir ces nouvelles tortues. Parce qu’elles vivent maintenant dans un monde où aller au lycée, porter des fringues à longueur de journée et apprendre l’essence du ninjutsu et des arts martiaux au travers des VHS de Jackie Chan et consort fait partie du quotidien du quatuor d’amphibiens.
De même façon que le reboot précédent, intitulé par chez nous, Le Destin des Tortues Ninja, s’autorisait quelques réécritures discutables, le film servant de base au jeu décide de renier certaines fondations que l’on pourra trouver préjudiciable pour la licence. Et ce n’est pas anodin si l’on prend le temps de parler écriture, car TMNT : Mutants Unleashed ne lésine pas sur la narration et se veut plutôt bavard. C’est peut-être un beat’em all 3D que l’on nous vend, et s’en est un. Néanmoins, à la surprise générale, le soft propose bien plus.
S’éloignant même pas mal de l’action pour dérouler toute une structure reprise, dans sa forme la plus basique, de Persona. Oui, la licence d’Atlus. Le premier point notable de cette expérience, c’est que nous vivons des journées avec, dès le réveil, la routine qui va avec. On débute à la maison, dans les égouts, et nous avons accès à quelques interactions dans le décors, notamment le banc de musculation donnant accès à l’arbre des compétences des tortues, nous y reviendrons sous peu, c’est aussi d’ici que l’on trouve la map avec ses divers points d’intérêts.
Chaque lieu aura potentiellement un PNJ s’y trouvant. Chacun des PNJ étant rattaché spécifiquement à une tortue, il faudra interagir avec eux afin d’augmenter notre lien relationnel ce qui, au fur et à mesure, déverrouillera des lignes de compétences dans l’arbre. Certains individus, comme Bebop et Rocksteady, vous permettront de réaliser des missions de livraisons de pizzas, par exemple – qui consiste en fait à parcourir le plus rapidement possible une portion de niveau vidée d’ennemis et où de ridicules obstacles gonflables « tentant » de nous ralentir. Un choix appréciable bien qu’oubliable, il n’y a même pas de pizza à réellement livrer…
Teenage Mutant Pizza Turtles
Il y a des missions de contagion, dont le but est d’éliminer des ennemis spécifiques, parmi le triste bestiaire proposé, des missions de sauvetage aussi – du combat tout simplement – ainsi que les graffitis souvent très stylés d’ailleurs, à dénicher dans les niveaux, sans parler du pseudo Pokemon GO demandant de dénicher à l’aide d’un smartphone des « démutants » cachés dans le décor. Sur le papier, cette tentative de renouvellement du gameplay est plus que louable, mais dans la pratique c’est assez redondant et peu inspiré.
Le plus gros souci étant la pauvreté du bestiaire de ce TMNT : Mutants Unleashed, beaucoup trop limité, ainsi que les répétitions dans le level design et des environnements un peu à la peine quantitativement parlant. On repasse trop souvent par les mêmes zones, croisant les mêmes ennemis. Ce manque de diversité manifeste est un coup douloureux porté à nos quatre tortues. Surtout qu’il faut ajouter la terrible caméra fixe avec ses positionnements parfois improbables. Malgré l’absence de fumigène ninja, nous sommes souvent à l’aveugle, incapables de situer notre personnage ou de comprendre ce qu’il se passe sous nos yeux.
Cela s’amplifie d’ailleurs au fil de l’aventure, ainsi qu’avec l’influence du mutagène qui, s’il n’est pas régulé en réussissant des missions contagions spécifiques, rend les créatures plus coriaces. Qu’ils soient plus forts, c’est une bonne chose au vu du challenge peu présent, mais cette fichue caméra… Nous avons beau admettre régulièrement que la gestion de cette dernière est un problème récurrent pour les beat’em all 3D – même les grands noms s’y cassent les dents – cela étant dit, que ce soit Dante, Ryu Hayabusa ou bien Cereza, aucun n’apparaît injustement démuni. Même dans les pires situations.
Ce qui n’est pas le cas dans dans cet opus TMNT. A tel point que, régulièrement, des ennemis nous attaquent hors champ alors qu’un mur invisible nous bloque, nous empêchant de s’en débarrasser même hors cadre. Des inputs qui accusent un déstabilisant temps de latence, quelques légers ralentissements aperçus ainsi qu’un changement d’assist – un frère débarque en renfort en exécutant une attaque puissante avant de repartir – qui ne fonctionne pas toujours. Mises bout à bout, ces imperfections, en plus des problèmes déjà mentionnés autour du recyclage, alourdissent l’ensemble.
Amère Victoire
Et pourtant, le gameplay ne démérite pas du tout, s’imposant aisément comme le meilleur épisode 3D de la franchise. Clairement inspiré par le Devil May Cry de Capcom, TMNT : Mutants Unleashed en reprend quelques idées. La notation en fin de chapitre déjà, mais aussi la notation, via des lettres, durant les combats pour récompenser les combos, le souci du skill en moins pour les tortues. A l’évidence, le soft n’ambitionne de toute façon pas de titiller le chasseur de démon, mais fait mieux que le grand maître PlatinumGames lors de sa tentative d’incursion dans l’univers des tortues.
Par contre, en reprendre l’idée des défis, que l’on débloque grâce à Splinter, ou les combos aériens, et l’arbre de compétences qui enrichit progressivement le gameplay des tortues, c’était bien l’objectif. Ainsi, passé un début de jeu que l’on pourra trouver un peu indigeste, les heures passent et le goût de la pizza se prononce, les saveurs remontent et on finit par s’amuser en compagnie de Mickey, Donnie, Raph et Leo. Un temps du moins, car il faut compter facilement la quinzaine d’heures pour en faire le tour, ce qui peut paraître long selon les sensibilités.
Si l’on met de côté les goûts personnels, force est de constater que visuellement le jeu fait son petit effet. A défauts de leur grande variété, les environnements convainquent par le foisonnement de détails apparents, les rendant ainsi bien vivants et identifiables. Les équipes ont fait du bon boulot. Et que dire de la patte graphique rappelant des coups de crayon, autant que l’esthétique des menus et des encarts visuels, quasi tout attire l’attention. Si vous appréciez l’esthétique atypique du film Ninja Turtles : Teenage Years, vous aimerez celle du jeu. Plus discutable en revanche, c’est bien la réécriture des tortues.
Le scénario de TMNT : Mutants Unleashed se laisse apprécier et suit logiquement les thématiques présentes dans le film, à savoir la question de l’acceptation des autres, la question de la famille évidemment, ainsi que d’autres considérations de jeunes adolescents. C’était la vocation des scénaristes du film. Malheureusement, si le long-métrage souffrait déjà de tortues méconnaissables, voire ringardisées, en particulier Leonardo et Raphael qui n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’ils ont toujours été, opter pour une April O’Neil du même âge que les tortues fait, une fois encore, tache.
On s’en Foot
Le problème apparaissait déjà dans la série animée de 2012 . Cela enlève une dichotomie intéressante, de surcroît quand Casey Jones est présenté de la même manière, mais ce dernier n’est pas concerné par notre libre adaptation du jour. Nous n’allons pas nous étendre sur le pourquoi du comment ici, ce n’est pas le sujet, par contre ces choix narratifs font perdre de l’intérêt pour les tortues. Y compris dans TMNT : Mutants Unleashed. Globalement, les personnalités sont bien moins complexes et approfondies que par le passé, sans parler de tout l’aspect ninja qui, comment dire…
Vous aurez peut-être remarqué notre habileté à esquiver ce terme, ninja, en parlant de ces tortues. Et bien, c’est parce que, en dehors de quelques leçons de morale déclamés à l’improviste par Splinter, ou les phases de combats, nous n’avons pas l’impression d’avoir à faire à des ninjas. Un problème pour une œuvre Tortues Ninja. Si nous retrouvons une ville en danger ainsi que des problématiques trouvant un écho évident avec notre époque actuelle, TMNT : Mutants Unleashed raconte des choses à sa manière et c’est très bien, cependant, on ne peut nier l’absence d’une réelle approche autour du ninjutsu.
Aucune spiritualité ni imagerie vraiment ninja pour nous impliquer, en dehors des combats évidemment. D’ailleurs, les combats peuvent se jouer à deux en local, pas plus, laissant inévitablement deux frères sur le banc de touche. Par soucis de lisibilité sans doute. On se consolera avec une bande-son instrumentale lorgnant vers le rap old school, comme le faisait le film, ce qui fait sens avec l’omniprésence des références aux années 80 et 90 dans le jeu. Références qui pullulent, font plaisir aussi, et que l’on retrouve autant dans les dialogues que via des détails visuels. Un soft fidèle à son sujet et qui pourra faire pont avec le prochain long-métrage déjà acté.
Cela étant dit, si vous êtes attachés aux Tortues Ninja les plus emblématiques, celle de l’animés de 2003 et, par extension, de la majorité des jeux vidéo adaptées et des comics en cours qui ont amené à l’excellent The Last Ronin, dont un projet vidéoludique est officialisé, pour vous ce TMNT : Mutants Unleashed aura une saveur peut-être désagréable, car vous passerez à côté de la partie narrative du jeu. Et elle prend de la place. L’avantage, c’est que c’est correctement écrit, même si toutes les conversations sont loin d’être passionnantes, et l’intrigue principale bénéficie d’un doublage français de bonne facture.
Cet article peut contenir des liens affiliés