Parmi les licences cultes du jeu vidéo, Tomb Raider fait sans doute partie de celles qui ont eu le plus d’impact tant auprès des joueuses et joueurs confirmés que vis-à-vis du grand public, surtout à une époque où le medium n’était pas autant pratiqué qu’il ne l’est aujourd’hui. Une petite bombe lancée en 1996 par Core Design, bouleversant le paysage du jeu d’action-plateformes, arrivait alors sur PlayStation, Saturn et PC.
La licence devient rapidement très productive et se voit aussi modifiée sur plus d’une vingtaine d’années, jusqu’à arriver à une sorte « d’unchartedisation » de la saga avec la dernière trilogie en date, vouée à rebooter la franchise en traitant des origines de Lara. L’ADN et l’archétype d’origine ont donc évolué, surtout ces dix dernières années, en restant relativement éloigné du statut légendaire de l’héroïne aux doubles pistolets. Une partie des fans cherche alors depuis assez longtemps maintenant ce qui peut être appelé grossièrement « la vraie Lara », les sensations de jeu et l’ambiance qui vont avec.
Ce désir, Crystal Dynamics, Aspyr et Saber Interactive en sont bien conscients, à l’heure où la franchise devrait voir ses différentes timelines unifiées par le biais d’une série d’animation. En attendant celle-ci et un futur de la licence bien réel mais brumeux, le moment est donc idéal pour sortir Tomb Raider I-III Remastered, une collection des trois premiers opus avec graphismes améliorés et autres joyeusetés, à destination de toutes les plateformes actuelles. Prévue pour ce 14 février, soit l’anniversaire de notre chère exploratrice, cette remasterisation mérite-t-elle sa place dans la salle des trophées du Manoir Croft ?
Conditions de test : Nous avons joué à la version 1.000.001 de Tomb Raider I-III Remastered sur PlayStation 5 entre 15 et 20 heures, le temps de jouer de manière équilibrée aux trois opus. Le cheat code de saut de niveau a été utilisé afin de voir un maximum d’environnements.
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ToggleLara (re)fait ça pour le sport
De 1996 à 1998, puisqu’il s’agit de la période qui nous intéresse ici, Tomb Raider aura donc marqué de son empreinte la manière de jouer à un jeu d’action. Des puzzles variés, des séquences de plateforme et de gunfights souvent tendues, des lieux emplis de secrets et de mythes, la recette avait tout d’un Indiana Jones-like version vidéoludique. Mais ce qui a définitivement fait la renommée de la franchise, c’est bien entendu son héroïne, Lara Croft.
Tout d’abord, le fait d’être un personnage féminin mais, en plus de cela, adopter une personnalité forte aux réparties bien senties, apportait un grand rafraîchissement bienvenu dans le paysage. Qui plus est, la britannique s’est vue superbement incarnée vocalement, que ce soit par Shelley Blond ou Judith Gibbins en VO, ou bien évidemment par notre Françoise Cadol nationale. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, Lara Croft a ainsi été élevée au rang d’icône.
Et cet attachement à un tel personnage prenait davantage d’ampleur en l’accompagnant tout au long de ses expéditions plus mystérieuses et dangereuses les unes que les autres. De 1996 à 1998, Lara en a vu plus que quiconque. Trois années (et donc trois jeux) passées à chercher le Scion, la dague de Xian, ou encore des artefacts à base de fragments d’une météorite très ancienne. Autant de reliques apportant leur lot de dangers, de convoitises, de phénomènes surnaturels, mais aussi de lieux mythiques, dans tous les sens du terme.
Ces expéditions nous ont donc beaucoup fait voyager, en allant de la Grèce et son Palais de Midas à la Cité de Khamoon, en Egypte, en passant par la Grande Muraille de Chine ou encore la zone 51 du Nevada. Des environnements peuplés d’ennemis, d’animaux et de créatures fantastiques hostiles qui auront marqué toute une génération de joueuses et de joueurs, loin de la quiétude du Manoir Croft, seul lieu commun aux trois jeux et zone tutoriel de la licence.
Aspyr et Saber Interactive au moment de concevoir une remasterisation, part donc avec une formidable base. Mais comme toute relique sacrée, il convient de façonner ce matériau avec le plus de soin possible. C’est donc dans une optique de modernisation, mais de fidélité, que le projet a été construit au sein de l’équipe. Une telle production, destinée à atterrir sur toutes les plateformes actuelles, s’avère être une véritable aubaine. Pour les fans, déjà, qui peuvent profiter non seulement des jeux originaux sous un nouveau jour, mais également des extensions propres à chaque épisode, soit Unfinished Business, Golden Mask et The Lost Artifact, le tout sur un seul launcher. Puis pour les néophytes ensuite, car Chris Bashaar, chef de produit chez Aspyr, a insisté sur la volonté de rendre cette trilogie accessible au public actuel.
Tombe Raideur
Outre la promesse de graphismes améliorés, ce qui permet déjà de donner envie à une cible nouvelle de s’intéresser à des jeux âgés d’une grosse vingtaine d’années, l’enjeu se situe clairement au niveau de la jouabilité. Comme les premiers Resident Evil à la même époque, Tomb Raider se jouait avec des tank controls. Autrement dit, cette fameuse maniabilité relativement lourde où le personnage n’avance qu’avec la flèche directionnelle du haut, celles de droite et de gauche le font tourner sur lui-même, et enfin celle du bas le fait reculer.
Et dans Tomb Raider, cette maniabilité s’articulait dans un level design basé sur un système de grilles et de blocs, où les mouvements de Lara sont précisément calibrés. Un saut en avant franchit telle distance, un saut avec élan telle autre distance etc. Si nous entrons un peu dans l’aspect technique, c’est pour bien comprendre de quoi il était question à l’époque, mais aussi pour mieux cerner le défi auquel sont confrontés les développeurs avec Tomb Raider I-III Remastered.
Jouer aux jeux originaux, qu’il s’agisse de les découvrir au moment de leur sortie, mais surtout au fur et à mesure que les années passent, est un véritable mur à franchir. Pour les plus patients, on arrive à s’habituer plus ou moins à cette façon de jouer, mais l’apprentissage est rude. On meurt énormément, et chaque saut ou chaque pas dans un couloir rempli de pièges peut être mortel. Sans doute malgré lui, Tomb Raider s’asseyait sans problème à la table des die and retry. Et ne parlons pas des versions des jeux où il n’est pas possible de sauvegarder à tout moment.
Alors quid de la manière dont Tomb Raider I-III Remastered se joue ? Et bien les tank controls sont bien évidemment toujours présents, pour le plus grand bonheur des habitués. Et les nouveaux venus peuvent s’essayer aux contrôles modernes. Soyons clairs, nous ne sommes pas loin de la fausse bonne idée. « Inspirés de l’ère qui a vu naître les Tomb Raider Legend, Anniversary et Underworld », toujours selon Chris Bashaar, on se retrouve vite refroidi.
Tombe Raideur II
Certes, Lara peut effectivement être dirigée à 360 degrés, y compris sous l’eau, où la nage devient bien plus agréable et réactive, mais la modernité s’arrête là. En fait, prenez les mêmes règles du système de grille, ainsi que la même latence de saut, et collez par-dessus un contrôle libre au joystick gauche. En résulte une sensation d’incompatibilité anachronique, impuissante devant la nécessité de composer avec un code source et un level design d’époque. Souhait de fidélité pour ne pas « casser » le jeu ou incapacité de livrer des contrôles modernes réellement adaptés pour X raisons, l’équipe de développement nous sert un gameplay à peine amélioré en surface, aucunement approprié aux débutants.
Malgré tout, ces nouveaux contrôles pourraient profiter à celles et ceux connaissant déjà très bien la manière dont bouge Lara. Cela nécessite tout de même de désapprendre quelques habitudes et d’en installer d’autres, mais dans le meilleur des cas certains passages ou l’obtention de certains secrets sont plus aisés avec la nouvelle maniabilité. Il peut même en découler une certaine fluidité de déplacement dans des moments insoupçonnés. La technique consistant à réaliser des petits cercles avec Lara pour enchaîner des sauts de cases en cases est une manière un peu détournée mais très efficace de prendre de l’élan, par exemple.
Alors attention, il y a d’autres problèmes avec cette maniabilité, autres que ceux détaillés au départ de cette partie. La caméra libre, par exemple, est un fiasco total à l’intérieur des couloirs, près d’un plafond ou dans tout espace un peu cloisonné. Puisque Lara avance en fonction du placement de la caméra, lorsqu’elle fait des siennes les directions s’emmêlent et la mort ne tarde pas à arriver, de quoi s’arracher les cheveux dans des situations pourtant anodines. Au sujet des gunfights, là encore, les contrôles modernes peinent à convaincre.
Toujours pas de bouton pour locker et passer d’un ennemi à l’autre, mais surtout, Lara ne reste pas face aux ennemis qu’elle vise, contrairement à Legend ou Anniversary. On en revient à cette sensation de changement posé comme un cheveu sur la soupe sans réellement le travailler en fonction du matériau de base. Ainsi, en contrôle moderne, si par réflexe on veut reculer face à la venue d’un ennemi, eh bien Lara regarde vers nous, et ne peut donc plus le viser. En revanche, si elle tire et qu’on la fait reculer, elle effectue les pas de recul relatifs aux tank controls. Dès lors, en combat et en maniabilité moderne, il faut continuer à raisonner à la façon des tank controls. Une gymnastique contre-intuitive au possible.
Bref vous l’avez compris, à moins d’un gros investissement du joueur et de moult concessions de sa part, les nouveaux contrôles loupent le coche. Et c’est peut-être ce qui va empêcher une bonne partie du nouveau public d’accrocher à Tomb Raider I-III Remastered. On conseille bien entendu de s’essayer à ces titres cultes, mais ces contrôles modernes ne constituent pas un argument. Il est donc préférable de jouer d’abord avec la croix directionnelle, à l’ancienne, avant de tester l’autre façon de se déplacer. On émet d’ailleurs une petite réserve sur la version Switch où les Joy-Con officiels, ne proposant pas une vraie croix, ne risquent pas de fournir un confort optimal.
La frontière ténue entre fidélité et antiquité
Si l’on peut donc être particulièrement déçu du fait de ne pas profiter d’une certaine souplesse au niveau de la maniabilité, reconnaissons que l’on parle d’un remaster, et pas d’un remake. Il y avait mieux à faire, mais le champ des possibles reste probablement restreint. Cependant, on ne peut faire réatterrir à l’identique en 2024 des jeux de la fin du siècle dernier. Il faut donc, autant que possible, agrémenter le quality of life, autrement dit intégrer des éléments qui permettent d’adoucir l’expérience.
Par exemple, et nous l’avons dit précédemment, les vieux Tomb Raider proposent des combats parfois punitifs ainsi que des sauts particulièrement périlleux. On aimerait donc sauvegarder régulièrement pour ne pas perdre de précieuses minutes de jeu à recommencer ce genre de séquences. Et heureusement nous le pouvons puisque Tomb Raider I-III Remastered a calqué son système de sauvegarde sur celui des versions PC des jeux originaux. Un usage illimité de ces sauvegardes et une multitude d’emplacements disponibles permettent de sécuriser notre partie au maximum.
Oui mais voilà, c’est assez rébarbatif de passer par le menu, de scroller sur le carnet du jeu, de cliquer sur le carnet, de tourner la page et d’appuyer sur « Sauvegarder la partie » à chaque fois que l’on désire marquer une pause dans la progression. Et nous sommes tentés de sauvegarder très, très régulièrement vu la difficulté des jeux. Sauf que nous n’avons pas d’autre choix que d’opérer de cette manière puisqu’à l’occasion de ce remaster aucune mécanique de sauvegarde automatique ou rapide ne vient simplifier la démarche.
Côté gameplay et comme dit précédemment, bien que la structure soit compliquée à bouleverser, on peut compter sur quelques ajouts sympathiques. Le fait que Lara puisse faire une roulade sous l’eau dès le premier Tomb Raider est une possibilité qui n’apparaissait à l’origine que dans le deuxième. De même, qu’elle puisse se rapprocher automatiquement d’un objet près d’elle au moment de le ramasser est désormais intégré dans chacun des trois jeux, alors que cette fonctionnalité est apparue dans le quatrième opus. Un petit point d’exclamation a même été rajouté, apparaissant au-dessus de l’objet au cas où on marcherait dessus sans s’en rendre compte. Un tout petit ajout qui n’empêchera pas de louper tout de même des trousses de soin ou des munitions par manque de mise en relief.
Malheureusement, d’autres mouvements inchangés nous font vieillir tant ils mettent du temps à s’exécuter. Pousser un bloc sur plusieurs cases se fait par à-coups et nécessite de faire « direction + bouton de poussée » à chaque fois, au lieu de poursuivre la poussée tout en maintenant ces boutons. Grimper une échelle reste très lent, et celle du niveau « L’aire de plongeon » de Tomb Raider II, la plus longue du jeu, restera connue pour cette raison.
Notons quand même que les boss affichent désormais une barre de vie, histoire de voir les dégâts infligés ou la vie restante, ou encore que la boussole nous indique enfin dans chacun des jeux la progression du niveau en cours. Mais sinon, encore une fois, on ne peut pas trop compter sur des éléments notables pour donner l’impression que Tomb Raider a rajeuni. Et bien qu’il soit normal et logique de parler de fidélité, il n’est pas incompatible que, conjointement, on puisse parler en retour de vétusté. Face à peu d’emballement, seule la technique semble désormais réunir les espoirs d’un remaster réussi.
Lara s’est refait une beauté
C’est finalement là que la magie a le plus de chances d’opérer. Si le dernier souvenir que l’on a des Tomb Raider c’est leur strict rendu d’époque sur tube cathodique alors oui, clairement, la différence se ressent. Il suffit même d’appuyer sur un bouton pour passer instantanément du rendu moderne à celui d’époque pour mesurer la différence par soi-même, et ce y compris pendant les cinématiques avec le moteur du jeu. Maintenant, il ne faut pas s’attendre à une refonte visuelle digne d’un Crash Bandicoot N.Sane Trilogy ou d’un Spyro Reignited Trilogy. Moins de moyens, moins de temps, ou peut-être les deux, toujours est-il qu’on se situe un cran en dessous.
Toutefois une sensation de vie ressort davantage des décors. La végétation paraît plus fournie avec de nouvelles textures de feuilles, d’herbes et de plantes, que ce soit sur le sol ou les murs. Des éléments de décor ont été rajoutés par-ci par-là, comme des tableaux dans le Manoir Croft, dont certains reprennent des œuvres existantes. L’eau ne se contente plus de donner l’illusion d’être une eau et les cascades paraissent plus crédibles désormais. Les environnements extérieurs proposent un vrai ciel nuageux, bien que fixe, au lieu d’un plafond noir.
Les éclairages restent peut-être le changement graphique le plus notable. Les titres originaux simulaient des zones de lumière et d’obscurité de manière pas tout à fait naturelle, par souci de lisibilité. Là, Tomb Raider I-III Remastered compte sur des effets de lumière précalculés et en temps réel afin d’afficher un rendu plus authentique. C’est toute l’ambiance qui en profite, comme dans le niveau de Tomb Raider II « Les Iles flottantes » (ou « Les Iles du Ciel » dans l’original) où le vert des cristaux de jade se répercute sur Lara lorsqu’elle en est entourée.
Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’un soin notable. Son look a été uniformisé entre les trois jeux et, de notre point de vue, le résultat s’avère très satisfaisant. Il s’agit sans doute de la version la plus aboutie possible de Lara Croft pour ce remaster, si l’on met en perspective la direction artistique des jeux originaux ainsi que leur jaquette d’époque. Le constat se partage un peu moins avec d’autres personnages secondaires et encore moins avec le bestiaire, surtout en regardant les lions ou les ours, pour ne citer qu’eux, encore très « PSX » dans le design.
Les cinématiques avec le moteur du jeu pourraient justement permettre de mettre en valeur ces modèles, mais ce n’est pas entièrement le cas. À l’époque où l’on ne pouvait pas faire bouger les lèvres des personnages, on leur faisait trembler la tête pour simuler leur expression. Et le remaster a justement apporté un vrai visage ainsi que des lèvres aux personnages, renforçant le « réalisme ». Le problème, c’est que les animations n’ont pas changé, donc les têtes bougent toujours. Le résultat est alors plus drôle et absurde qu’autre chose, ce qui casse un peu l’effet recherché initialement. Bref, tous ces petits ajouts graphiques font donc du bien au jeu, sans jamais cependant nous donner d’effet « wahou ».
Beaucoup d’autres éléments restent purement identiques, pour le meilleur et pour le pire. Le comportement des ennemis ainsi que leur placement ou leurs bégaiements, tout est identique. Idem au sujet du sound design, des musiques, du doublage et du contenu des dialogues. Un message est par ailleurs diffusé au tout début du jeu pour les accents et stéréotypes jugés offensants par Crystal Dynamics, mais conservés en rappelant bien le contexte. Sinon, pas mal de petites coquilles ternissent le tableau. Les ombres de Lara font parfois un peu n’importe quoi, de rares textures rajoutées poppent et dépoppent selon si l’on est près ou non ou encore les effusions de sang font encore très pixelisées.
Contrainte du remaster, les vidéos en images de synthèse sont à peine lissées, et il n’est pas nécessaire de switcher entre les deux modes de rendu : la différence est minime. Aussi, les sous-titres des cinématiques ne sont pas au point, et finissent par se faire la malle au bout de quelques phrases, et ce dans chacune d’elles. Pas mal de fautes ou d’absence de traduction interviennent également. Quant aux menus, ils semblent traduits trop littéralement donnant l’impression d’une adaptation d’époque.
Saluons enfin l’ajout d’un Mode Photo permettant de profiter de panoramas en mettant en scène Lara. L’occasion de voir aussi ses nouvelles expressions faciales, toutes ses tenues, ainsi que différentes poses. Le mode reste malgré tout loin des standards de notre époque, sans la possibilité de poser des filtres ni même un simple logo du jeu.
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