La scène indépendante du jeu vidéo est souvent associée à l’étiquette d’une production de seconde zone ou le jeu du pauvre… Ce statut est cependant trop généraliste et ne peut certainement pas s’appliquer à toutes les entreprises créatives qui se donnent les moyens de faire naître un jeu rempli d’intentions et de savoir-faire.
C’est ici que SuperGiant Games entre en scène. Après un superbe Bastion (2011) accueilli parmi les jeux donnant une bouffée de renouveau dans le genre du Hack’n’Slash avec une once de RPG, nous voilà en 2014 prêts à accueillir leur nouveau jeu Transistor, successeur de son aîné. Conservant les points forts de son premier jeu, SuperGiant Games souhaite se détacher des codes trop classiques de la science-fiction. L’alchimie de leurs idées prend corps en un jeu élégant et surprenant à plusieurs niveaux non sans défauts. La philosophie suivante du studio influencera tout le développement du jeu:
Sommaire
ToggleUne maîtrise picturale de toute épreuve
Les premiers concepts sont créés peu de temps après la commercialisation de Bastion. Le vrai développement se situe aux alentours de septembre 2012 pour une sortie presque 2 ans après en mai 2014. La petite équipe d’une douzaine de personnes s’est donnée corps et âme durant ce temps de développement. Transistor tourne désormais sur un moteur de jeu construit en interne, plus évolué que celui précédemment utilisé. Utilisant la technologie MonoGame pour déployer plus facilement le jeu sur multi-plateformes, le système laisse la possibilité d’y ajouter des améliorations tout le long du développement. Enrichi d’optimisations et de scripts plus solides, Transistor est bien parti pour faire parler de lui en tant qu’oeuvre artistique.
Le premier aspect qui saute au yeux dès les premières minutes de jeu est sans aucun doute le soin apporté aux visuels 2D/3D isométriques. Jen Zee surprend une nouvelle fois de la délicatesse de ses illustrations, cette fois-ci très influencées par le design d’anime classiques et l’art nouveau du début du XXe Siècle. L’étonnante fusion d’univers inspirés tels que Blade Runner (1982) et Cowboy Bebop (1998) ou encore Bioshock (2007) pose immédiatement le ton d’une ambiance colorée en décadence. Cependant, dans la ville de Cloudbank, loin de nous l’idée d’une histoire de science-fiction remplie de vaisseaux spatiaux et pistolets lasers.
Place à l’univers Cyberpunk qui a été traité dans de nombreux films et l’occasion d’aborder cet univers sous un nouvel angle s’est présenté. Arboré de grattes-ciels gigantesques et d’un dédale de ruelles dans une ère contemporaine ornées d’une architecture remplie d’enluminures. La touche romantique des environnements se profile doucement à l’horizon par le soin apporté aux détails des environnements. À noter aussi la gestion des lumières qui donnent de la profondeur aux visuels, elle se veut cependant discrète et réchauffe avec succès l’ambiance apathique laissée par la présence du « Process ».
Un point fort, signe distinctif des grands artistes, est de passer par des style graphiques différents sans que cela ne choque nos rétines si fragiles. En effet, la transition d’un monde isométrique de toute beauté à un style 2D vectorisé stylisé s’effectue sans moindre mal. Cette simple variation de styles ainsi que celles disposées à travers l’aventure rendent unique la conceptualisation des environnements et des personnages par la gestion mélangée des styles graphiques et de la lumière.
Au fil du temps, l’identité visuelle de Transistor est née au gré des coups de pinceaux de l’Artiste. Les pixels colorés se dévoilent au grand jour ; caressant nos rétines vibrant de la symphonie de couleurs à la fois douces et froides…relatant l’éclat de l’âme perdue de Cloudbank.
Une histoire à recomposer
Allant à l’encontre des principes de nombreux jeux vidéo, le scénario n’ose pas noyer le joueur dans une tonne d’informations pour installer son histoire. Transistor se permet de se dépoussiérer de tels codes établis pour nous mêler d’emblée à un conflit opposant l’héroïne Red ainsi que son arme d’un immense pouvoir appelé le Transistor éponyme à une machine faisant partie du « Process ».
Au premier abord, le fil directeur des événements semble difficile à cerner. Les informations tombent au compte-gouttes et c’est déroutant. Ceci est pourtant en parfait accord avec la philosophie de l’éditeur que de laisser le choix au joueur de son degré d’implication dans le scénario.
Ainsi, la ville de Cloudbank est disséminée par de nombreux terminaux OVC cherchant à sonder la supposée population disparue dans une quête de perfection et de personnalisation de l’environnement. Tout semble avoir été laissé à l’abandon, les informations dénichées aux coins de rue font partie d’un grand puzzle qui, petit à petit, dévoilent les intentions d’un groupe appelé la Camerata. De par leur volonté d’atteindre une utopie hors de portée, les rouages de leurs plans se fracturent donnant naissance à un fléau hors de contrôle qui rasera la ville de toute entité vivante : j’ai nommé le Process.
C’est dans ce contexte que l’on découvre Red, une chanteuse bien connue dans la ville, ayant été dérobée de sa voix tenant dans ses mains le Transistor arborant l’aspect d’une épée high-tech de grande puissance. Habitée par une âme préalablement transférée dans les circuits électroniques de l’appareil après la mort d’un individu. Celui-ci semble bien connaître Red et sera son partenaire tout au long de l’histoire. C’est ainsi que le duo se met rapidement en route vers le QG de la Camerata, responsable de la décrépitude électronique de la ville mais également les auteurs des maux qu’accablent les protagonistes.
Le mutisme de Red n’est en rien une barrière à la communication entre les deux personnages. Usant des terminaux OVC pour communiquer avec le mystérieux hôte dans l’épée, une complicité touchante presque intime se construit au fil du temps. Connaître le sort et le dénouement de la relation entre ces deux personnage est une des motivations majeures du jeu. Pour en savoir plus sur les événements de ce monde voué à sombrer dans l’oubli, il faudra faire preuve de curiosité !
Et pas qu’un peu, le joueur sera à peine alimenté en informations scénaristiques. Cependant, il est facile de compléter les trous du scénario durant la progression. Des terminaux OVC se trouvent éparpillés sur le chemin et faciles d’accès. Le vécu de certains personnages clef est déblocable depuis les compétences de Red à force d’utilisation. Un paragraphe expliquant leur histoire et l’implication dans la Camerata viendra s’ajouter sous formes de descriptions ou biographies en relation avec la compétence selon l’emplacement dédié à celle-ci. Les ennemis « lambdas » ont eux aussi droit à leur petite histoire qui, en quelque sorte, remplit les petits interstices du scénario. L’histoire opte pour de nombreux supports textuels pour donner vie à l’univers de Cloudbank City. Ce sera l’activité principale entre deux combats si le scénario intéresse évidemment. Le Transistor viendra également ajouter son grain de sel à l’histoire à travers ses remarques ou anecdotes exacerbées. Loin d’être un narrateur omniscient de l’histoire (a contrario de Bastion), au final, il n’en connaît pas plus que vous.
Le plus grand succès du scénario est qu’il laisse place à l’interprétation, possibilité rare dans un jeu vidéo. Durant la première session le joueur se concentrera plus sur la maîtrise du combat que l’histoire en elle-même. Il serait une terrible erreur de ne pas profiter du « New Game + » pour remodeler sa théorie car un élément scénaristique aurait pu échapper à la première lecture. De ce fait, de nombreuses questions écloront au déroulement des crédits quant à la nature même de Cloudbank, de la réalité (virtuelle ?) ainsi que l’existence de la vie après la mort.
Des combats tout en finesse
La ville de Cloudbank est parasitée par de nombreux robots du Process chargés de nettoyer la ville de toute forme de vie. Bien que Red ne soit pas épéiste de métier, elle devra s’improviser à manier le Transistor ainsi que de faire évoluer ses techniques au combat. Sans cela, c’est le Game Over assuré. Fort heureusement, elle semble déjà dotée de certaines notions d’attaques à l’épée. Aussi lourde soit-elle (l’épée…), Red saura se concentrer pour regrouper en un temps éclair ses enchaînements aux ennemis à portée à condition de pouvoir rassembler ses forces quelques instants entre chaque salve.
C’est la mécanique pivot de tous les combats : le Turn(). C’est LA fonction qui ajoutera une dimension tactique lors des combats. Encore une fois, libre au joueur de choisir son style de jeu : à la manette ou le fatidique combo clavier/souris. Pas de restrictions quant à l’approche des combats. Il est tout à fait possible d’engager l’ennemi à l’ancienne, en temps réel. Cependant il faut avouer que le jeu étant plus nerveux de ce qu’il paraît, les adversaires ne sont pas forcément adaptés à un affrontement classique. Pouvoir planifier son attaque en figeant le temps l’espace d’un instant devient une question de survie.
La mécanique est simple. Dès l’enclenchement du Turn(), chaque attaque ou déplacement coûte une parcelle de la barre d’action correspondant à la limite d’actions possibles. Pour des ennemis de faible constitution, l’intérêt d’une telle approche est inutile. Toute la puissance se dévoile lors d’affrontements plus conséquents face à des adversaires nécessitant une approche plus prudente au risque de voir la barre de vie de Red se dissiper en un instant. Que ce soit pour un enchaînement dévastateur ou une retraite planifiée face à un adversaire des plus récalcitrant, l’aspect tactique du jeu est un avantage certain à utiliser cependant avec une certaine réserve. Il faudra un temps de recharge plus ou moins conséquent pour pouvoir à nouveau en tirer parti. Pendant ce temps… mieux vaut prendre ses jambes à son cou espérant ne pas sombrer sous les coups adverses !
Cependant, le jeu ne serait pas un RPG si le Transistor n’était pas améliorable par paliers d’expérience cumulés, ainsi que de nombreuses techniques à assimiler et fusionner ! En effet, durant leur périple, le duo aura la possibilité d’organiser leurs techniques sur quatre boutons principaux (touches 1 à 4 ou boutons de la manette). Jusque là, que du classique. Le plus vicieux est que chaque compétence possède trois modes d’utilisation : active, soutien et passive.
Le mode actif sera tout simplement le sort assigné à la touche, il réagira exactement selon le descriptif du sort. Ni plus ni moins. Le mode de soutien apportera des effets bonus au mode actif, ceux-ci peuvent améliorer le taux de dégâts effectués ou apporter des effets secondaires à l’attaque. Enfin le mode passif apportera un bonus constant aux déplacements ou des avantages durant le mode Turn(). À noter qu’il est possible d’étendre à deux le nombre de compétences de soutien par sorts actifs et jusqu’à quatre compétences passives ! À condition d’augmenter le niveau du personnage pour obtenir de tels avantages. Chaque palier de niveau proposera de choisir entre une ou plusieurs compétences, emplacement supplémentaire secondaire ou passif ainsi qu’un choix de limiteurs influençant l’expérience cumulée des combats. Si au premier abord le système de combat semble vraiment très confus, le jeu pousse à expérimenter soi-même différentes combinaisons pour des effets dévastateurs facilitant grandement la progression.
Il arrivera que Red succombe au courroux de ses adversaires: le game over n’est cependant pas encore assuré ! En effet, lorsque la vie tombe à zéro, la compétence la plus coûteuse (ainsi que ses compétences de soutien associées) sera retirée des compétences disponibles à l’utilisation, nous laissant trois puis que deux pour finir à un sort disponible… La compétence éliminée se voit inutilisable le temps de croiser au moins deux bornes de « checkpoint ». Pas très grave puisque Red ne peux équiper toutes ses compétences à la fois. Le système de gestion des sorts nous pousse alors à continuer notre ascension avec d’autres combinaisons de sorts que l’on n’aurait pas forcément eu l’idée d’assembler. Sont malins chez SuperGiant Games ! L’apprentissage au maniement du Transistor s’en va crescendo au rythme des rencontres hostiles au contact du Process.
L’expérience cumulée peut être accélérée en s’équipant de limiteurs cités précédemment. Chaque limiteur débloqué aléatoirement par palier de niveau propose un taux bonus d’accumulation d’expérience. Dans le monde de Cloudbank rien ne peut être aussi parfait… Accepter ce bonus revient par la même occasion de renforcer les robots du Process. Leur octroyant des bonus conséquents ou des malus à Red. Rien n’est gratuit, il faut mériter son expérience ! Les limiteurs pouvant être cumulés, le challenge est à nouveau adapté aux attentes du joueur qui a le loisir de jauger la difficulté à sa guise. Une formule plus que bienvenue qui ravira les plus aguerris en recherche du dépassement de soi et de la maîtrise sans faille du Transistor.
Everyone has a voice in Cloudbank
La musique de Transistor est écrite et produite par Darren Korb, et est omniprésente tout au long de l’aventure. Les notes s’adaptant aux situations en toute fluidité sans accroches, on passe aisément de la musique d’exploration aux combats pour finir aux menus plus posés en termes musicaux. On retrouve aisément des notes jazzy et rock dans sa musique, Korb lui-même décrit ses compositions de « old-world electronic post-rock ». Rien que ça ! Accompagné de Ashley Lynn Barret prêtant sa voix pour cinq de ses compositions, elles resteront marquées dans les mémoires tant la poésie issue des cordes vocales vibrant en harmonie avec celle des instruments est palpable. La bande son est disponible séparément pour ceux qui sont restés enchantés par la musique envoûtante du jeu. Les accords des guitares électriques, harpes, accordéons, mandolines et pianos électroniques n’auront pas laissé de marbre ceux dont l’oreille fine n’en sera jamais rassasiée.
La musique est l’ADN même de Transistor. Tout comme la profession de Red, les mélodies donneront vie aux rues, halls musicaux, environnements décomposés et terriblement vides, offrant une dimension poétique à l’ensemble. SuperGiant Games a non seulement voulu fournir une bande son de qualité mais porter plus loin le concept de simple musique pour du jeu vidéo. En effet, celle-ci raconte à sa manière ce que les écrits et visuels n’arrivent pas à communiquer. Les notes nous racontent l’histoire cachée derrière les murs de Cloudbank City, toutes les tensions, les sentiments, les peurs s’extirpent du tempo musical qui viennent compléter l’histoire écrite, pour exception qu’elles ne seront qu’audibles.
Il faudra en effet, prêter attention à nos sens. Le Transistor s’empare du joueur pour le faire voyager dans un monde malheureusement en décadence, un vestige de l’échec de l’homme dans sa quête de monde meilleur. Au joueur de s’imaginer Cloudbank comme il l’entend… sans bornes de sondages.
Hello world()
Au terme de cette courte expérience de jeu d’environ six heures, sans trop chercher à compléter les trous scénaristiques, Transistor réussit à se démarquer par une réalisation aux petits oignons ne laissant rien au hasard. L’équipe de SuperGiant Games aura pris assez de temps pour proposer une aventure condensée en émotions, laissant libre choix au joueur de prendre ses marques et d’adapter le jeu à ses attentes. Si l’aventure et son système de combat sont véritablement fantastiques, ils ne sont pas sans défauts. Le jeu manque certainement de clarté dès le début de son scénario ainsi que son interface. Un minimum d’informations pour souder le joueur à l’histoire et aux commandes auraient aidé dès le départ à émanciper l’impression d’être totalement perdus.
Dès le début le joueur fait face au monde impitoyable gangrené par le Process sans avoir véritablement l’occasion de faire connaissance avec Red et son panel de mouvements. Pas simple non plus de comprendre le principe du Turn() et la disparition des pouvoirs (si l’on ne surveille pas sa jauge de vie) ainsi que leur utilisation subtile. Le jeu ne sera pas clément avec Red cependant, les mécaniques se prennent en main rapidement et se dévoilent être bien plus complètes qu’en l’apparence. Les développeurs sont confiants d’avoir un univers rempli de contenus, c’est au joueur de décider du degré d’implication dans le scénario qu’il souhaite investir durant sa partie. Malgré un gameplay linéaire, la sensation de liberté est bel est bien dans le(s) choix de moduler l’expérience à souhait.
La véritable empreinte que laissera le jeu au bout de la première session sera par sa musique et la superbe voix d’Ashley. Si le jeu vidéo se devait d’être une expérience uniquement réalisable par la distillation des décibels, la bande son de Darren Korb tournerait en boucle à l’infini tellement l’univers de Transistor semble prendre corps au rythme des notes agencées par le compositeur.
La durée de vie courte n’est en rien, signe de jeu de seconde zone. Au contraire, en s’y penchant on découvre des qualités que peu de jeux se donnent la peine d’assimiler. Le New Game + a un véritable intérêt si ce n’est pour se venger des robots du Process qui auront donné du fil à retordre en début de partie, approfondir la connaissance de l’histoire autour de la Camerata et de Cloudbank City ou encore profiter des somptueuses musiques durant les clics frénétiques ! Le challenge est constamment remis à niveau avec l’intégration des Limiteurs et des ennemis plus coriaces pour le NG+. Le scénario aborde pas mal de thèmes qui pourraient passer comme inaperçus au premier abord comme la liberté, la conscience de soi, la justice, la perfection ou encore la fragile fibre qui sépare la mort de la vie sur différents plans de réalité. Il laisse véritablement place à l’interprétation à celui qui s’est donné la peine de compléter en partie le puzzle scénaristique.
Décidément, il serait dommage de passer à côté d’un titre aussi complet à un prix totalement abordable. Les quelques lacunes perfectibles n’enlèveront en rien le plaisir de jouer et la satisfaction de voir un Turn() réussit avec brio est sans égal ! C’est peut-être aussi en acceptant ses défauts que le jeu, au final, semblera atteindre sa perfection…
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