On a pris l’habitude de surveiller de près les jeux de DONTNOD. Déjà parce qu’ils sont français et qu’on aime être un peu chauvin, mais surtout parce qu’au fil des années ils ont démontré un certain talent malgré des productions imparfaites. On pense notamment à Remember Me, plein de bonnes idées mais plombé par des combats pénibles et un concept sous-exploité. Le studio a l’occasion avec l’ambitieux Vampyr de prouver qu’ils ont tiré des leçons de leurs précédentes expériences.
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On était particulièrement excité à l’idée de lancer Vampyr parce que la promesse d’explorer le Londres des années 20 dans la peau d’un buveur de sang nous laissait tout jouasses. Entre les mains des talentueux artistes de DONTNOD, la capitale anglaise aura rarement paru aussi terrifiante. En proie à une terrible épidémie, les rues sont essentiellement peuplées par des créatures hostiles et des gangs peu fréquentables.
Heureusement, certains quartiers sous quarantaine sont encore peuplés par des humais un peu plus accueillants (quoique). La cohésion de l’univers prend un petit coup quand on réalise que pratiquement aucun civil ne semble conscient que des loups-garous et des vampires se baladent à tous les coins de rues, mais l’ambiance générale n’en reste pas moins saisissante. Les décors sont à tomber, chaque zone de la map disposant de ses propres particularités visuelles. Les alentours du quartier plus riche de West End contrebalancent avec les rues sales et désolées entre Whitechapel et le cimetière. On prend rapidement conscience de l’urgence de la situation de la ville et du désespoir qui pèse sur chacun des citoyens. En résulte un univers vivant, crédible et sans concession que l’on découvre avec autant de plaisir que d’effroi.
Vampyr peut compter sur la puissance de l’Unreal Engine 4 pour assurer un aspect technique très solide. Outre la bonne optimisation du jeu, on profite notamment d’un jeu de lumières absolument superbes qui font ressortir toutes les qualités artistiques du jeu. On a également le droit à de jolies textures ainsi qu’à des personnages bien modélisés. Le vrai bémol est à mettre sur le compte des animations trop rigides qui semblent tout droit sorties d’un jeu Bethesda. C’est encore pire pour les animations faciales où seule la bouche des personnages daigne bouger. On a souvent des interlocuteurs qui font de leur mieux pour regarder notre personnage dans les yeux mais qui finissent irrémédiablement par regarder à l’est et à l’ouest en même temps.
Notons aussi que Vampyr manque encore un poil de finition avec des dialogues pas toujours bien en place, quelques soucis techniques et bugs d’IA qu’on espère rapidement résolus par des patches. On se consolera avec quelques jolis effets visuels en combat et de vraies belles idées de réalisation. Cette dernière est étonnamment ambitieuse et s’avère être une très belle surprise faisant notamment la part belle aux plans-séquences. Aussi, pour ceux qui doutaient toujours du talent du Monsieur, Olivier Derivière signe une bande-son de très haute volée qui reprend les « codes » liés à la période tout en se permettant des folies à base de synthés et de sonorités électroniques. Brillant.
Lettres de sang
Vous l’aurez compris, Vampyr ce n’est pas une histoire de vampires végétariens qui font des câlins. Bien au contraire, il est ici question du mythe le plus élogieux et viscéral de la créature. Les vampires sont des êtres immortels, d’une grande intelligence et infiniment plus puissants que les mortels. Ils sont aptes à manipuler les humains avec aisance et se nourrissent de leur sang en étant pleinement conscients des conséquences de leurs actes. Ils doivent aussi constamment lutter contre leur soif insatiable qui en pousse certains à perdre complètement la raison et le contrôle.
C’est ce qui arrive au docteur Jonathan Reid, notre héros, qui à peine de retour en tant que vampire peine à comprendre ce qui lui arrive et commet un acte irréparable. Les amateurs du genre fantastique ne seront pas perdus alors que les néophytes à ce style d’univers prendront leurs marques pas à pas avec le héros. Le jeu a même une petite tendance à la surexposition de son univers avec des dialogues qui se répètent, mais rien qui ne pourrait alourdir le remarquable travail d’écriture réalisé sur le jeu. Vampyr est de la trempe de ces jeux qui donnent envie d’avoir toujours plus de nouveaux dialogues à découvrir.
C‘est un titre résolument adulte qui ne prend aucune pincette lorsqu’il aborde des sujets difficiles. Par les très nombreux dialogues avec les habitants de Londres, on est amené à aborder le deuil, la prison, le harcèlement sexuel, la pédophilie, le meurtre, la prostitution… On est confronté à des adolescents terrorisés par le monde extérieur, à des rebuts de la société bannis par leurs voisins parce qu’ils sont immigrés, à des éternels rêveurs prêts à tout pour réussir leurs ambitions, quitte à y laisser leur vie ou à sacrifier leur entourage. Le panel de personnages est extrêmement varié et complexe. Chaque nouvelle rencontre est fascinante et dissimule potentiellement une histoire dont on se souviendra longtemps après avoir fini le jeu.
Il est important de noter que je faisais plus haut uniquement référence aux personnages secondaires, ceux qu’il est parfaitement possible d’ignorer du début à la fin du jeu si on le souhaite. Les personnages principaux eux souffrent d’un peu plus de facilité d’écriture pour faire avancer l’histoire. Outre Jonathan Reid qui, bien que hautement charismatique, s’avère peut-être encore un peu trop lisse, on peut se poser des questions sur les réactions de certains personnages pas toujours très en adéquation avec nos choix. D’ailleurs, malgré l’énorme emphase mise sur le roleplay, difficile de ressentir l’impact de nos décisions sur le cours de l’histoire. Au mieux certains de ces choix permettront quelques libertés lors d’une éventuelle suite. Néanmoins le titre se permet tout de même de constamment mettre le joueur face à des situations où il n’y a pas de bons ou de mauvais choix, des moments où seule son appréciation fera une différence. Vampyr nous conte ainsi une histoire fascinante, sombre et sans concession, qui nous tient sans mal en haleine de bout en bout grâce à sa capacité à investir le joueur dans son univers.
Fais-moi un jet d’investigation
On regrette encore plus les terribles animations faciales lorsque l’on sait que les dialogues et les phases d’enquête sont de loin les meilleures séquences du jeu. Il n’y a aucun personnage tout blanc ou tout noir malgré les apparences, et le titre fait tout pour nous encourager à les dépasser. Tous ont une bonne raison de faire ce qu’ils font, tous ont la possibilité de générer une certaine empathie. Cela peut passer par de simples questions-réponses avec le personnage ou son entourage, par la découverte d’une lettre secrète dissimulant un indice sur un habitant, ou encore par l’une des quêtes annexes qui consistera souvent à rendre un service à quelqu’un. Retrouver un ami disparu ou mettre la main sur un nouveau défi gustatif, ces tâches ont pour réel intérêt d’en apprendre plus sur les habitants.
S’il est aussi primordial d’épuiser un maximum d’options de dialogues c’est aussi parce que chaque citoyen est une potentielle source de nourriture. Rappelez-vous que vous êtes un vampire, et qu’il vous faut vous nourrir pour devenir plus puissant. S’il est techniquement possible de finir le jeu sans dévorer le moindre civil, cela rend la tâche infiniment plus difficile qu’elle ne pourrait l’être en se délectant d’un maximum de litres de sang.
Chaque personnage vaut un certain nombre de points d’expérience en fonction de la qualité de son sang. Il est possible de faire augmenter ce chiffre en en apprenant plus sur lui et en s’assurant qu’il n’est pas malade avant de passer à table. Vient ensuite la décision la plus importante et celle autour de laquelle toute la communication du jeu repose : qui allez-vous tuer pour devenir plus puissant ? Le barman en bonne santé et qui vaut 4000 xp ? Un bon choix, mais sa mort entraînerait la fermeture du seul pub du coin considéré comme un territoire neutre par les gangs environnant, et donc une potentielle reprise des affrontements. Il faut également s’assurer que l’état des quartiers ne s’aggrave pas trop sous l’accumulation de morts et de maladies. Tout est question de choix et d’assumer les conséquences… tout du moins sur le papier.
Malheureusement, si l’idée est brillante et fait illusion les premières heures, elle n’est pas suffisamment exploitée. Tout d’abord parce qu’il y a certains choix évidents, des citoyens sans relations, sans véritable impact sur la vie du quartier et qui valent beaucoup d’expérience. Le dilemme devient alors uniquement moral et le choix est alors assez largement facilité par l’idée que le reste du quartier ne sera que très peu affecté par la mort de ce personnage. L’autre problème, c’est que le jeu est finalement assez facile et qu’il n’est pas spécialement nécessaire d’atteindre un niveau extrêmement élevé pour venir à bout du titre. On peut décider de se limiter à une petite poignée d’étreintes sur l’ensemble de son run et compter sur l’expérience acquise en finissant des quêtes et en combattant. Suffisant pour justifier de ne pas dévorer quelqu’un avant d’être bloqué par un adversaire trop puissant.
Enfin, il ne faut pas s’attendre à voir la ville se transformer radicalement. Les altérations sont subtiles et agissent principalement sur la vie des habitants. Tuez la mère de l’un d’entre eux et cela pourra le pousser au suicide ou à vouloir se venger. Ôtez la vie au marchand du coin et le détective local ouvrira une enquête qui pourrait le mener à sa perte ou représenter une menace pour l’existence secrète des vampires. On peut donc légitimement se poser des questions sur l’intérêt de la jauge de stabilité des quartiers tant on peine à voir une différence entre un quartier « Stable » et un en état « Grave ». Néanmoins, outre l’impact assez relatif de ces choix, le système fonctionne tout de même très bien et il y a une vraie réflexion avant de prendre une vie, on aurait simplement apprécié que l’idée soit poussée encore plus loin.
Vampyr dit arrêt
Si jusqu’ici Vampyr confirme les grandes forces du studio, il est également la triste preuve que DONTNOD peine avec l’action et les combats dans leurs jeux. C’était déjà le problème avec Remember Me, et c’était malheureusement attendu : les combats ne sont pas une grande réussite. La meilleure nouvelle, c’est que ce n’est peut-être pas aussi raté qu’imaginé. Au fil de notre progression on débloque de nouvelles compétences de combat. En plus de notre arme de base, on est équipé d’une arme secondaire qui peut être une arme à feu, ou un pieu ayant pour objectif d’étourdir ses adversaires. Une fois stun, il devient possible de mordre sa cible pour récupérer de la vie et surtout recharger sa jauge de sang. Sang que l’on dépense pour utiliser ses compétences qui représentent le gros des dégâts.
Les combats s’articulent donc autour de deux mécaniques : étourdir ses adversaires pour les mordre, et dépenser son sang dans les compétences pour les tuer. Bien sûr on a aussi le droit à la fameuse jauge d’endurance qui régit le nombre de coups que l’on peut donner avant de devoir reprendre son souffle. Au final on se retrouve avec des affrontement au rythme totalement décousu où l’on passe notre temps à stun, mordre, taper, puis stun à nouveau pour remordre etc… Ne comptez pas sur la variété du bestiaire pour apporter du renouvellement sur la durée car tous les ennemis s’affrontent de la même manière. Les combats de boss tentent de varier les situations par leurs enjeux et la mise en scène, mais les combats en eux-mêmes sont similaires à ceux des simples sbires.
On aimerait aussi que le jeu nous donne plus l’impression d’être un vampire immortel et tout puissant plutôt qu’un simple mec qui se transforme en fumée. La faute à une évolution des ennemis qui se calque sur la nôtre et a un manque de patate dans les feedback. À l’exception de quelques pouvoirs et des morsures, les attaques manquent d’impact, manquent de vigueur pour vraiment paraître efficaces. Un sentiment qui n’est pas aidé par les ennemis qui sont tous d’énormes sacs à PV faisant traîner les combats en longueur et ce quelque soit la puissance de nos compétences ou de notre arme.
D’ailleurs, il faut impérativement se concentrer sur un petit nombre de compétences à améliorer car à moins de dévorer tous les citoyens (ce qui est tout à fait autorisé), impossible d’augmenter tout à la fois. Dès les premières heures de jeu on se retrouve à choisir les attaques qui vont nous accompagner du début à la fin, soit environ 25 heures avec la même palette de coups. Il faut aussi composer avec un système de lock complètement flingué qui saute d’un ennemi à l’autre et de la facilité avec laquelle on peut mourir pour trois fois rien. Bref, si DONTNOD souhaite continuer à faire des jeux d’action il va falloir sérieusement se remettre en question pour la prochaine fois.
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