Il est toujours compliqué de dégager les annonces les plus marquantes émanant d’un Summer Game Fest tant il y en a sur tous les étalages possibles. Pourtant, au cours de l’été 2024, la révélation de Wanderstop a réussi à sortir du lot. Car sous ses airs de jeu cosy où l’on gère un salon de thé, tout portait à croire qu’il cachait autre chose. D’abord via ses trailers, et ensuite lorsque l’on regarde qui compose le studio Ivy Road, avec notamment Davey Wreden à la manette, l’homme derrière The Stanley Parable, une œuvre là aussi bien particulière. Une équipe de 18 personnes qui, pour ne pas diminuer l’intérêt du projet, évolue ici sous la bannière d’Annapurna Interactive, et ce malgré ce qu’il s’est passé autour de l’éditeur récemment. Alors qu’est-ce que Wanderstop a réellement à nous offrir ? Réponse dans cet article.
Conditions de test : Nous avons joué à Wanderstop sur PS5 dans sa version 1.004.000 durant près d’une quinzaine d’heures de jeu, le temps de terminer l’aventure et de laisser un peu notre esprit divaguer. Nous évitons tout spoiler sur l’histoire au-delà l’introduction mais nous abordons des éléments liés à la structure du jeu.
Sommaire
ToggleL’heure de la mise au (thé) vert
Alta est l’une des plus grandes combattantes que le monde ait connu. Fière détentrice d’une épée avec laquelle elle ne fait qu’un, les adversaires sont étendus les uns après les autres pendant des années. Une invincibilité incontestable dont rien ni personne ne semblait pouvoir y faire quoi que ce soit.
Mais sans doute à un moment où elle s’y attendait le moins, Alta finit au tapis. Totalement incrédule tant elle s’entraîne si dur avec un point d’honneur mis sur l’excellence, c’est avec une détermination sans faille qu’elle se remet en selle.
Sauf que rien n’y fait, l’épéiste a perdu de sa superbe. Et alors qu’elle traverse une forêt pour recevoir un ultime entrainement auprès d’une sommité du maniement de la lame, l’impensable se produit : son arme, l’extension de son corps et de son esprit, se met à peser une tonne. Alta perd toutes ses forces, tant et si bien qu’elle se voit contraint de laisser sa précieuse épée derrière elle, avant de finalement s’évanouir.
Elle se réveille alors auprès d’un drôle de bonhomme, appelé Boro, à qui elle doit son sauvetage. L’épée a été rapportée et mise de côté, mais Alta parait mystérieusement retenue dans la clairière où elle a été amenée. Devant elle se dresse un superbe salon de thé : le Wanderstop. Il se trouve justement que Boro en est le gérant, et qu’il aurait bien besoin d’un petit coup de main.
Cela tombe à pic, vu qu’Alta semble diminuée et qu’il n’y a pas mieux à faire pour elle, c’est à reculons que la jeune femme va embrasser une carrière de préparatrice et serveuse de thé. Pourquoi elle ? Pourquoi ici ? Pour combien de temps ? Un échantillon des nombreuses questions auxquelles elle tentera de répondre entre deux gorgées de breuvage chaud.
Wanderstop n’est toutefois pas un lieu où l’on doit se prendre la tête. Au contraire, un paysage coloré, tranquille et en pleine nature se veut idéal pour se ressourcer. Boro, avec qui Alta va passer du temps, insiste tout de suite pour mettre notre héroïne à l’aise : elle peut prendre le temps qu’il lui faut pour se faire au salon et à ses alentours. Par extension, c’est nous-même qui nous retrouvons tout de suite débarrassé d’une éventuelle pression liée à un rendement attendu ou à une part de travail obligatoirement demandé. Une attention qui sera valable tout au long du jeu.
Un gameplay à infusion rapide
Une fois que nous sommes prêts, Boro se lance dans une explication englobant tout le processus de préparation du thé, allant du séchage des feuilles de thé au choix de la tasse, en passant par la récolte de fruits et sans oublier la machine à préparer le thé. Rassurez-vous, même le plus basique des jeux de gestion ou de simulation de vie n’est pas aussi élémentaire que Wanderstop.
La plantation des graines donnant les fleurs et fruits demandés s’organise sur un quadrillage très simple et dont les combinaisons de base sont livrées dès les premiers instants du jeu. Certes, avec l’arrivée de nouvelles graines, les possibilités se multiplient, mais la logique reste la même et, autant les néophytes au genre seront pris par la main, autant les esprits créatifs se sentiront rapidement limités. Dites-vous au moins qu’absolument toute la clairière offre un terrain fertile à nos envies jardinières, ce qui s’avère tout à fait confortable.
Les autres actions à notre disposition restent aussi on ne peut plus simple. Par exemple, la clairière regorge de pots et de coins où faire pousser des fleurs histoire d’amener une touche de déco. Les cisailles sont parfaites pour faire de la place sur le terrain en coupant soit des plantes soit des racines nuisibles, de nombreux points d’eau sont là pour remplir notre arrosoir et les tas de feuilles mortes disparaissent en trois coups de balai. Il arrive même très régulièrement que ces tâches d’entretien fournissent quelques babioles et objets bonus, que nous vous laissons découvrir.
En bref, on s’habitue très vite à la vie dans la clairière. Et si par malheur un détail est oublié au sujet du jardinage, il est possible de consulter un guide pratique qui regroupe tout ce qu’il faut savoir pour progresser. Petit détail, d’ailleurs, quitter le guide à une page donnée dépose un marque-page sur celle-ci afin de ne pas être contraint de feuilleter tout le bouquin pour revenir dessus. Très pratique, pour le coup.
Toutes ces étapes visent plus ou moins à l’élaboration du Saint Graal : une bonne tasse de thé. Érigée en plein milieu du salon, la machine à thé est impressionnante, voire intimidante, mais le coup de main arrive très vite. Répondant à quelques étapes bien précises, la préparation du thé est rapidement le moment que l’on préfère vivre. Les sons et les effets visuels qui en émanent relaxent profondément, et ce jusqu’au versement final dans la tasse, avec un timing assez particulier nous poussant à s’entraîner pour la remplir parfaitement, sans que le liquide ne déborde.
La satisfaction va même jusqu’au lavage des tasses, avec un dispositif artisanal mais automatisé parfois hypnotisant, le tout couvert par l’un des trois types d’ambiance musicale hyper décontract’, fournis par la radio installée près de la machine. L’occasion de signaler que les compositions de C418 livrent un résultat des plus doux.
Qu’est-ce que je vous sers ?…
Sauf que pour que lesdites tasses soient sales, encore faut-il déjà qu’il y ait quelqu’un pour les utiliser. Et bien en tant que salon, Wanderstop est évidemment disposé à accueillir des clients assoiffés. Hauts-en-couleurs, les personnages que croise Alta disposent tous d’un tempérament bien particulier et, à l’image de notre héroïne, semblent trainer un trauma ou une obsession. Rien que l’un des premiers, le chevalier Gerald, est un pur portrait de papa intrusif par peur de ne pas être à la hauteur avec son fiston. Une bonne tasse de thé déliera à coup sûr leur langue, bien qu’il faille savoir quelles sont leurs envies avant de se lancer dans quoi que ce soit.
Les différents fruits apportent une saveur distincte et évoquent des émotions bien précises. Il faut alors rester à l’écoute du client pour lui servir le thé parfait. Dans la très grande majorité des cas, la recette est assez simple à deviner et à composer, mais il arrive que nous devions réfléchir un peu en devant combiner les saveurs et même prendre en compte les dosages, quand il ne s’agit pas d’improviser à l’occasion d’une demande floue. Heureusement, et disponible à tout moment, le Livre des Réponses offre une soluce très précise de ce qui est demandé pour une recette. Ainsi, impossible de rester bloqué, de quoi coller à l’ambiance chill et sans prise de tête voulue par le titre.
Le service du thé pour le compte de personnages représente donc le seul et unique réel marqueur de progression, en sachant qu’il n’y a pas que les autres qui ont le droit de boire du thé. En effet, on peut préparer le breuvage de notre choix et laisser Alta le consommer en l’installant sur l’un des nombreux bancs ou fauteuils installés un peu partout. Un moment privilégié puisqu’il nous livre un des souvenirs ou une des pensées propres à la combattante, et relatifs à l’effet que le fruit du thé procure. Un effet que ressentira aussi Boro, si c’est à lui que l’on confie une tasse, lorsque ce ne sont pas les adorables pluffins, les petits animaux de la clairière, qui adoptent la couleur du thé qu’ils ingèrent.
Maintenant, c’est essentiellement au fil des différentes commandes livrées au client que l’intrigue se dévoile petit à petit, et quand ce n’est pas une tasse dont les personnages ont besoin, des petits coups de main et autres dialogues nous mènent tranquillement à la fin des échanges avec le personnage en question. Wanderstop est en effet moitié gestion-moitié narratif et s’impliquer dans les discussions, notamment grâce aux différents choix de dialogue, est la clé pour apprécier le titre au maximum.
Par ailleurs, la dimension narrative ne s’arrête pas aux échanges avec les personnages principaux puisqu’une boîte aux lettres fournit quelque mini-histoires en y insérant des colis perdus, retrouvés ici et là, presque par hasard. Mention spéciale aux livraisons des romans mettant en scène Dirk Warhard. Ce personnage fictif, via ces faux bouquins, fait l’objet d’une critique absurde à l’extrême du héros masculiniste, à travers des scènes et des répliques complètement aberrantes. Des lectures hilarantes totalement optionnelles mais qui participent à cette volonté d’offrir une occupation libre de son temps.
Un penchant comique régulièrement présent, et donc forcément au cours des échanges avec les personnages. Au terme de leur « arc narratif », on repart d’ailleurs souvent avec un souvenir de leur part. Soit une photo, soit une babiole à placer n’importe où dans le salon pour alimenter la déco. Cette partie prépondérante à l’appropriation de l’espace livré par le salon de thé est agréable, où l’on se prend à placer les photos les plus chères à notre cœur et à organiser le placement de chaque élément sur les étagères.
Malheureusement, un gros point noir risque d’en refroidir quelques-uns. Car, tout comme le jardinage, la quasi totalité de ce qui a été ajouté à la décoration disparait purement et simplement lors d’un changement de chapitre. Certes, un tel événement s’explique par le lore, et puis le décor montre de nouvelles facettes et de nouveaux fruits (et donc de nouvelles saveurs de thé) se rendent disponibles. Sauf qu’une fois que nous nous sommes « fait avoir » une première fois, finalement, nous n’osons plus consacrer trop de temps à s’investir sur la déco ou le jardin, court-circuitant sur le principe l’intérêt de laisser libre cours à ses envies.
… Juste une larme, merci
Oui mais voilà, Wanderstop veut justement nous faire comprendre que tout ça n’a pas vraiment d’importance. La simple action de faire pousser des fleurs, d’observer la nature qui nous entoure, et la satisfaction de servir un thé remplit parfaitement, constitue autant d’éléments banals qui viennent nous dire les yeux dans les yeux qu’il n’y a pas besoin de davantage. L’absence de challenge, d’objectifs chronométrés ou chiffrés, viendra certes frustrer celles et ceux en quête de stimuli de complétion, sauf que c’est précisément le propos central.
Il n’est pas toujours l’heure de se tuer à la productivité, ni d’en faire une des motivations principales au lancement d’un nouveau jeu. Et là où l’on croirait que le titre, via l’intermédiaire de Boro, parle surtout à Alta, c’est finalement vers nous qu’il se tourne. Wanderstop est un arrêt salvateur pour notre héroïne lessivée par son obsession de réussite et de perfection, tout comme il est un jeu au rôle de parenthèse oxygénée dans notre vie, qu’elle soit d’ailleurs enrichie d’autres productions vidéoludiques ou non.
Beaucoup considéreront peut-être que l’expérience manette en main se veut répétitive, sommaire ou peu excitante. Pourtant, et paradoxalement, c’est très certainement à ces personnes-là que l’œuvre d’Ivy Road s’adresse avant tout. Cela étant dit, force est de reconnaître que les moyens mis à exécution pour nous faire prendre conscience de ces besoins sont susceptibles de ne pas fonctionner pour toutes et tous, et il demeure parfaitement légitime de ne pas y être sensible.
Et puis, clairement, le soft n’est pas fait pour de trop longues sessions et nécessite plutôt d’être siroté. Lancer la préparation du thé peut devenir redondant, voire agaçant lors des ultimes commandes, où il est vite arrivé de faire une boulette, auquel cas on est bon pour tout recommencer. Un contexte où l’on prête plus attention aux petits défauts ici et là, comme un clipping graphique évident, un système d’inventaire où l’on se trompe de poche une fois sur deux ou encore des réutilisations régulières de certains effets de mise en scène.
Mais pour les autres, Wanderstop garantit une grosse claque dans la figure. En toute bienveillance, naturellement. Rarement un jeu nous aura paru aussi capable de mettre le doigt sur certaines facettes bien précises de notre rapport à soi. D’autres pépites y sont parvenu à leur manière, en pensant à The Artful Escape, Celeste ou encore Chicory, pour citer quelques-uns des nombreux exemples récents, mais dans un style différent de Wanderstop et répondant à une grammaire du jeu vidéo mine de rien un peu plus classique.
Car ce qui s’apparente à un manque de profondeur, couplé à cette incapacité à nous laisser un housing que l’on a pris le temps d’étoffer, ne doivent pas nécessairement être considérées comme une absence, mais plutôt comme le résultat d’une soustraction. La simplification d’un genre (la simulation de vie) pour laisser davantage de place à un autre (l’aventure narrative) et ainsi mieux nous faire digérer son message. Un message qui nous dit que prendre le temps de ne rien faire, ça peut être formidable, que la dictature du résultat a fait son temps et que, quoi qu’il arrive, il ne faut jamais s’oublier.
Et quel meilleur vecteur de cette philosophie que Boro. Du début du jeu jusqu’à la fin, le grand bonhomme ne cesse d’afficher toute sa positivité à l’égard d’Alta. Même dans les pires moments de doute ou de rejet de la jeune femme, il garde constamment la face et, avec le sourire, trouve toujours une manière de switcher une pensée négative en un pas vers l’avant. Quand il n’a pas la réponse à une question, il n’hésite pas à le reconnaître parce que nul ne les détient toutes, à plus forte raison quand il s’agit d’autrui. Oui, comme tout bon psy, la solution ne viendra jamais directement de Boro, il se chargera simplement de donner de nouvelles perspectives à Alta face à ses questionnements.
Alors au terme de l’aventure, et lorsque l’on se rend compte à quel point la parenthèse fut aussi bénéfique pour notre propre personne, cette clairière au sein de laquelle on pouvait se sentir piégé au tout début du jeu finit par devenir déchirante à quitter. Au moment où le pas est franchi, tout ce qui a été mis pièce par pièce au cours de la grosse douzaine d’heure de jeu, tant sur le plan narratif qu’artistique ou ludique, agit comme une vive décharge émotionnelle que l’on n’est pas prêt d’oublier.
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