Annoncé début 2015 par ACKK Studios à qui l’on doit déjà le très moyen Two Brothers, YIIK : A Postmodern RPG est, comme son nom l’indique, un RPG se déroulant à notre époque. Trimbalant dans son baluchon l’héritage de ténors du genre comme la série des Mother ou des Persona pour ce qui est du contexte spatio-temporel, YIIK pioche également dans d’autres références comme Paper Mario, Wild Arms ou Lufia 2.
Mais comme j’ai pu l’apprendre à la dure, il ne suffit pas d’avoir de bons ingrédients sous la main pour concocter un bon petit plat. Et si la présence de guests comme Garoad (VA-11 HALL-A), Toby Fox (Undertale) ou même carrément Hiroki Kikuta (Secret of Mana) à la musique a de quoi séduire, cela suffira-t-il à rendre l’expérience inoubliable ?
Posez vos crayons, je ramasse les copies. Muni de mon stylo rouge, je me remémore avec nostalgie ce conseil que m’a un jour donné un professeur de philosophie : “ne débutez jamais vos dissertations par une citation”. Raté.
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ToggleBalance cette merde rétro-futuriste !
Avant toute chose et pour vous simplifier la lecture, YIIK n’est pas le cri d’un petit rongeur, ça se prononce “why two kay”. Cela fait en réalité référence au “Y2K”, plus communément appelé en France “le bug de l’an 2000”. Pour les plus jeunes d’entre nous, il s’agit d’un problème informatique qui allait, selon les plus pessimistes, détruire notre société et plus largement le monde lors du passage à l’an 2000. Long story short, nous sommes en 2019, toujours en vie, et le prochain cataclysme devrait se dérouler au Japon à cause d’un certain Akira.
YIIK se déroule donc logiquement en 1999. Après une courte introduction singeant Earthbound sur le fond et ToeJam & Earl sur la forme, Alex, jeune adulte un peu geek qui sort tout juste de l’université, descend du bus dans sa ville natale de Frankton aux Etats-Unis. Alors qu’il se balade dans la rue, un chat fort moustachu nommé Dali lui vole sa liste de courses pour aller se planquer dans une usine désaffectée. Ni une, ni deux, et parce qu’il fallait bien un élément perturbateur, Alex s’enfonce dans ce qui s’apparente à un premier donjon. Plutôt proche de l’idée que l’on peut se faire d’un bâtiment abandonné, rapidement le sous-titre “A Postmodern RPG” prendra tout son sens. Les ennemis sont tout autant d’objets et de créatures fantastiques animés par la volonté de vous annihiler : panneaux STOP, tortues de mer (“tortoise” en VO) samouraï, plagiat de Wall-E et même des cacas.
YIIK parvient à sauver les meubles grâce à ses choix artistiques, uniques, qu’on les aime ou non
Tout ce joyeux écosystème évolue dans des environnements surréalistes le plus souvent inspirés de la psyché des personnages, un peu à la manière d’un Psychonauts où l’on explore les pensées enfouies de différents protagonistes. Si les puzzles qui constituent ces mondes oniriques paraissent un poil faciles aux premiers abords, à mesure que l’on progresse, ils deviendront franchement rébarbatifs. Entre du back-tracking quasi obligatoire (également très présent dans l’exploration de la mappemonde) et des énigmes pas vraiment intuitives par moments, ce qui semblait être un palais constitué de 4,5 salles se transformera en purgatoire où l’on pourra se perdre des heures durant sans avoir l’impression d’avancer. Pour vous épauler, des actions contextuelles réparties dans une barre de raccourcis accessible d’un coup de gâchette qui vous permettront pêle-mêle de détruire des cailloux ou des murs grâce à un ampli ou d’allumer des bougies grâce au combo déo-briquet bien connu des pyromanes.
Heureusement, et pour peu que l’on y soit réceptif, la direction artistique permet à l’expérience de jeu de passer d’insupportable à tolérable. Autant dire que si visuellement YIIK ne vous tape pas dans l’oeil avec toutes ses références mystico-occulto-cosmiques, vous faites d’office une croix sur l’un de ses seuls intérêts.
Welcome to the Machine
Alex parvient donc enfin à mettre la main sur le chat salvateur, Dali. Celui-ci est accompagné d’une jeune femme nommée Sammy qui ne tardera pas à se faire enlever par des entités cosmiques, se transformant au passage en carotte pour le joueur, le but étant in fine de la secourir. Pas vraiment remis de ses émotions, notre héros rentre chez lui et constate que la séquence de l’enlèvement a été filmée par une caméra de sécurité et postée sur un forum : ONISM 1999. Recréant parfaitement l’ambiance de l’internet fin 90, le site se présente comme une interface textuelle classique faites de pavés de texte histoire de gonfler le background du jeu ou tout simplement de filer quelques (rares) quêtes annexes pas franchement dignes d’intérêts. On y trouve donc différents posts tournant tous autour de l’occulte, du paranormal et de l’inexpliqué, de quoi ravire les fans d’X-Files et de toutes ces autres séries qui sentent bon les jeans troués et le grunge.
On prend donc plaisir à se replonger avec nostalgie dans cet univers pour peu qu’on l’ait vécu avec un petit bonus VA-11 HALL-A feel puisque c’est Michael “Garoad” Kelly qui nous fait l’honneur de sa présence pour habiller musicalement le forum. On peut au passage féliciter l’initiative d’ACKK qui est parvenu à accueillir moult musiciens de talent. Malheureusement, ce fut à double tranchant : en effet, on ne peut pas dire que toutes les musiques se valent en termes de qualité et très clairement, certaines ressortent plus que d’autres. Ceci est d’autant plus frappant qu’il existe pas loin d’une dizaine de morceaux différents pour les combats aléatoires en rendant donc la moitié moins passionnant qu’ils ne le sont déjà tandis que la musique en enjolive un peu trop d’autres (à défaut de crédits précis, merci Toby Fox dont le style est immédiatement identifiable).
Cela suffira-t-il à rendre l’expérience inoubliable ?
Ce déséquilibre se ressent également dans l’attention accordée aux différents membres de notre équipe. Si la grosse majorité des dialogues sont intégralement doublés (de façon honorable il faut le reconnaître), les portraits en 2D des personnages ne collent pas toujours aux émotions des comédiens. J’entends par là que certains personnages (Vella en tête) disposent de beaucoup, BEAUCOUP, plus d’artworks là où d’autres n’ont à leur disposition que 3 pauvres dessins pour représenter un panel d’émotions pourtant équivalent. De manière générale à vrai dire, la scission entre gameplay et scénario est trop visible. Lorsque dans une cutscene Alex hurle de peur à la vue de la première entité cosmique, la présence d’une entité 10 fois plus grande dans le ciel du décor 5 minutes plus tard ne semble choquer absolument personne. Pire, alors que l’objectif du jeu est de retrouver Sammy, lorsque le joueur la croise en tant que projection dans l’esprit d’un PNJ, il ne sera jamais fait mention nulle part de sa présence, comme si les développeurs avaient simplement oublié de retirer son modèle ou d’insérer un script à cet instant. Parfois, cette supposition est malheureusement avérée, en témoigne la possibilité d’exploiter une boucle pour avoir de l’argent et des objets de soins de manière illimitée. De quoi casser un peu plus un système de combat déjà pas fameux.
YIIK(es)
Résolument classique puisqu’il s’agit de tour par tour, le jeu nous offre la possibilité d’attaquer, d’utiliser des capacités de plus en plus nombreuses au fil des niveaux, de se défendre et en fait à peu près rien de bien original. Soit. En revanche et à la manière d’un Paper Mario ou d’un Mario & Luigi, chaque attaque se résoudra au travers d’un mini-jeu. Alex attaquant avec un vinyl, il faudra donc appuyer en rythme sur les barres jaunes du disque lorsqu’elles passeront sous la pointe en diamant de notre platine. Evidemment, plus notre combo est élevé, plus les dégâts suivront. A chaque attaque adverse, il faudra également appuyer à temps pour stopper un curseur dans une zone précise afin de l’esquiver ou d’en amoindrir les dommages. Histoire de se simplifier la tâche, il est possible de maintenir une gâchette pour ralentir le temps quelques secondes, consommant une barre qui se rechargera après avoir subi des dégâts.
Si sur le papier, ces mécaniques permettent de rendre des affrontements au tour par tour moins ennuyeux, ici elles procurent l’effet inverse. Déjà handicapés par des chargements de plus de 10 secondes au lancement, les combats deviennent rapidement interminables lorsque l’on oppose notre groupe de 4 combattants face à parfois, 5 monstres. Rajoutez par-dessus tout cela une surcouche de dialogues et d’animations à chaque action et vous obtenez un des systèmes les plus indigestes du RPG moderne. Et histoire de remuer le couteau dans la plaie, les récompenses sont rarement au rendez-vous. Quand il ne s’agit pas de quelques piécettes d’1$ (alors que l’on ouvre des coffres en contenant au moins 500 régulièrement), c’est un combat de 20 minutes qui se solde sur l’obtention de 3 points d’expériences sur les 100 nécessaires pour passer un niveau. Pire, sur ses dernières heures, le jeu nous inonde d’XP de manière totalement gratuite (me faisait doubler mon niveau !) histoire d’être sûr qu’on puisse vaincre le boss final, instaurant au passage une nouvelle mécanique de progression qui n’a aucun sens en plus d’être tout à fait inutile.
Comme annoncé, les combats ne sont pas vraiment dignes d’intérêt et je pourrais en rajouter en vous disant que certains mini jeux ne sont pas clairs, que d’autres durent pas loin de 20 secondes mais tout ceci n’a finalement que peu de valeur puisqu’à terme, vous spammerez l’unique attaque utile du jeu qui peut dépasser les 300 points de dégâts contre… 10 pour la plupart des autres. En clair, YIIK n’est dans son système de combat qu’un très long DPS check où la mort ne viendra que trop rarement soulager vos peines étant donné l’abondance d’objets de soin. Et c’est sans compter la possibilité de les utiliser sur tous les membres du groupe en même temps sans en amoindrir les effets grâce à une capacité disponible assez tôt dans le jeu. Pour ceux qui auraient encore quelques espoirs : non les ennemis n’ont pas de patterns vous obligeant à employer une autre stratégie que celle de faire le plus de dommage le plus rapidement. Déso pas déso.
La majorité de ces lacunes sont évitables.
Mais alors, puisqu’environ un tiers du jeu est indéfendable, 33% sympa sans plus, que reste-t-il ? Malheureusement l’équipe a décidé de conserver le même motif articulé autour de l’ennui et de la perte de temps évitable. Si le simple fait de naviguer dans les menus est une plaie, mélangeant allégrement les équipements, les objets clés et les consommables, ils se permettent en plus d’être affreusement lents. Et s’il est pourtant possible de comparer deux pièces d’armures lorsque l’on s’en équipe, cette possibilité s’évapore lorsque l’on souhaite en acheter à la supérette du coin. Des exemples de ce type, il en existe des tas mais le plus parlant est sans aucun doute le système de niveau. S’il s’inspire, encore une fois, de celui de Paper Mario, il en rate l’exécution.
Tous les 100 points d’expériences, vous aurez donc la possibilité de renforcer Alex. Pour se faire, il faudra au préalable trouver un téléphone, faisant également office de points de sauvegarde, et se téléporter dans le Mind Dungeon. Dans celui-ci, un corbeau nous explique qu’il faudra visiter ledit donjon de l’esprit : plus on s’enfonce dans ses profondeurs, plus Alex aura le mental -et les muscles- pour casser de l’être extrasensoriel.
Dans les faits, chaque étage est constitué de 4 portes, chacune ayant une valeur allant de 0,5 à 3 (sachant que les virgules sont en fait arrondies au supérieur) et vous pourrez associer une porte à une statistique pour l’augmenter en conséquence. Il faudra donc, dans l’ordre :
- Se diriger vers la porte
- Selectionner la statistique que l’on souhaite augmenter et valider une première fois
- Valider une seconde fois en entrant cette fois-ci dans la pièce
- Lire 3 boites de dialogues nous expliquant que l’on a trouvé une icône nous renforçant
- Faire ça 4 fois pour chaque porte, puis parler à un PNJ qui nous propose de passer un niveau
- Descendre à l’étage suivant et recommencer autant de fois que l’on a de niveaux à gagner.
Histoire d’aller toujours plus au fond du fun, il faudra quelques rares fois jouer à un mini-jeu afin de renforcer le potentiel d’une pièce, mini-jeu où l’on ne peut, évidemment, pas échouer.
Heureusement, YIIK dans sa grande miséricorde, accorde les niveaux de manière automatique à nos compagnons, même s’il sera nécessaire de parler à un PNJ dans le Mind Dungeon pour se faire. C’est d’ailleurs l’occasion de se rendre compte du déséquilibre total entre notre héros et notre crew puisque ceux-ci peuvent parfois avoir des boosts d’une dizaine de points au total, contre une moyenne de 4 pour Alex. Et pourtant, à terme, ça sera notre avatar qui roulera sur tous les ennemis du jeu, boss compris.
Existential Crisis Simulator
Au milieu de tout ça, est-il encore possible de retirer quelque chose de bon de YIIK ? Si comme énoncé auparavant la partie artistique est plutôt maîtrisée, elle va de pair avec la narration. Manquant cruellement pendant une bonne moitié du jeu de véritables enjeux, c’est lorsque la menace de destruction planétaire si cher aux RPG pointe le bout de son nez que la qualité d’écriture commence à s’effriter sérieusement. Déjà forcément réservé aux anglophones puisqu’il n’est pas traduit, il faudra en plus posséder un niveau plutôt élevé pour réussir à retirer quelque chose des textes parlant essentiellement de philosophie et de métaphysique. Mais là où d’autres jeux parviennent à distiller ce genre de discours dans le gameplay (Zero Escape, NieR, etc.), YIIK se fatigue à tenter d’expliquer ses concepts par des dialogues quitte à se répéter encore et encore. Le tout au grand dam de notre personnage principal qui sombrera dans une crise existentielle, rongeant petit à petit le lien que le joueur a pu tisser avec lui, si tant est qu’il ait existé un jour. Et lorsque l’on croit notre calvaire terminé, nous sommes seulement récompensés par un épilogue anti-climatique au possible, avec certains éléments qui sentent le déjà-vu pour ceux ayant terminé Earthbound, si ce n’est carrément plagiés aux yeux des joueurs de Persona 3.
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