Attendu de pied ferme par une niche de joueurs avides de découvrir ce que donnerait Danganronpa sans l’un de ses deux créateurs, Zanki Zero : Last Beginning échoue dans nos contrées près d’un an après sa sortie au Japon. Au programme : soleil, bronzette, monstres tentaculaires, ruines, bikinis, survie, fin du monde, clonage, bornes d’arcade et pipi. Parce qu’on aime les blagues de pipi.
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Pour résumer très simplement les choses, Zanki Zero est un mélange entre un visual novel et un dungeon crawler. Le premier est un genre très présent au Japon qui offre rarement plus que son nom ne le laisse entendre : c’est un roman illustré. Pas ou peu de mécaniques de jeu à part celle de, parfois, choisir telle ou telle ligne de dialogue pour parvenir à différentes fins. Évidemment le support vidéo-ludique offre la possibilité aux créateurs d’y ajouter illustrations, doublages et musiques pour s’affranchir de ses origines de papier.
Le dungeon crawler est de son côté une adaptation plutôt littérale du jeu de rôle sur table. On se déplace (ici en vue à la première personne) de case en case façon damier pour explorer des donjons, passer à tabac tout ce qui passe à portée d’épée pour looter équipements et ressources et surtout, on engrange de l’expérience à dépenser sans compter dans diverses compétences.
En vérité, ce n’est pas une idée si saugrenue de fusionner ces deux genres, surtout lorsque l’on s’appelle Spike Chunsoft. Avant leur fusion en 2012 il existait deux studios : Spike à qui l’on doit les 2 premiers Danganronpa (et une tripotée de jeux DBZ) mais qui a surtout édité au Japon un paquet de jeux de Chunsoft. On y retrouve notamment 428 : Shibuya Scramble et 999 : 9 Hours 9 Persons 9 Doors, deux visual novels respectés. Mais Chunsoft, c’est aussi et surtout, pour ce qui nous intéresse, The Portopia Serial Murder Case « aka » le papa des VN, les cinq premiers Dragon Quest (et oui) ou encore les Pokémon : Donjon Mystère. Zanki Zero : Last Beginning est donc l’aboutissement logique d’un studio qui fête aujourd’hui le 9 avril 2019 son 35e anniversaire.
L’époque de Danganronpa et de ses conclusions injustes et déchirantes est révolue.
Néanmoins, si Zanki Zero se vante d’avoir été créé par l’équipe aux origines de Danganronpa (un VN d’enquête aussi jouissif que sadique rappelons-le), quelques précisions sont nécessaires. Déjà le titre est co-développé en partenariat avec Lancarse qui a eu l’occasion de travailler sur des spins-off de la saga d’Atlus, Shin Megami Tensei. Ensuite, Kazutaka Kodaka, l’une des deux têtes pensantes du projet avec Yoshinori Terasawa (producteur) n’est pas de la partie, pas plus que Masafumi Takada qui a béni de ses compositions la licence. Rui Komatsuzaki dont le coup de crayon est une des raisons du succès de Danganronpa est également aux abonnés absents. Il faut surtout aller chercher du côté des développeurs, des game designers, des UI designers ou des producteurs pour commencer à trouver des noms communs aux deux projets.
Cette longue remise en contexte nous permet de vous convaincre d’une chose qui vous paraîtra bientôt évidente : Zanki Zero n’est pas Danganronpa. A vrai dire, il est probablement plus proche des modes bonus des Danganronpa qui oscillent entre gestion et RPG selon les épisodes. Si connaître la série permet d’être paré face à certains sujets évoqués, elle n’a finalement en commun que la forme (en témoigne les interfaces pour ainsi dire identiques), et non le fond, comme le laisse supposer l’équipe mise en place.
Dangan-Lanta
Zanki Zero débute donc par le réveil de Haruto Higurashi sur une île qui semble déserte. Au loin, une silhouette de jeune fille semble nous inciter à la suivre jusqu’à un garage où se trouve une étrange borne d’arcade ornée d’un titre tout aussi mystérieux : Extend Machine.
Flashback. Nous retrouvons notre héros cette fois non pas sur une plage paradisiaque mais sur un toit alors qu’il s’apprête à se suicider. Ambiance. Cette fois, c’est la bonne, Haruto se réveille au milieu du garage entouré de 6 autres jeunes adultes et d’une gamine à l’apparence étrangement familière. Le temps pour nos protagonistes de se présenter rapidement et de constater que personne ne sait comment chacun a atterri sur ce bout de terre perdu en mer qu’une télé s’allume. Apparaissent alors deux mascottes : Sho Terashima, un jeune garçon qui a raté le casting de Vault Boy de Fallout et Mirai, une brebis doublée par Masako Nozawa (la voix japonaise de Son Goku, rien que ça). Ceux-ci nous expliquent rapidement que le monde est détruit, qu’il a été recouvert par l’océan, qu’il ne reste plus que nos 8 héros en vie sur Terre et que ça serait quand même super qu’ils essaient de sauver l’humanité. Et pour ça, il va falloir commencer par construire des toilettes.
Car si Zanki Zero est surtout visual novel puis dungeon crawler, il s’amuse également à saupoudrer tout ça de survie. Ce qui signifie qu’il faudra dans un premier temps améliorer vos installations présentes sur Garage Island, l’île où débute l’aventure. A vous donc de récolter divers matériaux, soit en partant à la chasse au monstre, soit en explorant les différentes ruines qui accosteront au fur et à mesure de votre progression à quelques centaines de mètres de votre QG. Qu’il s’agisse de conteneurs pour stocker vos objets en trop, d’une cuisine ou d’un atelier bien pratiques pour se préparer en amont d’une expédition ou plus sommairement de chambres pour vous reposer (et améliorer les relations entre les personnages), chaque bâtiment deviendra rapidement une nécessité pour progresser. Mais la survie ne s’arrête pas là.
La classique jauge de vie est belle et bien présente mais il faudra également faire attention à la jauge d’énergie qui n’aura de cesse de diminuer au fur et à mesure du temps et de nos déplacements. Si la simple ingestion de nourriture nous permettra de restaurer la barre, elle influera également sur l’anxiété et la vessie de notre personnage. On pourra faire baisser le stress en dormant, en buvant ou encore en mangeant nos plats préférés tandis qu’il suffira d’aller faire un tour au petit coin pour… enfin pas besoin d’un dessin. Évidemment, si vous oubliez de prendre en compte ces besoins, votre héros pourrait en mourir. Ou se faire dessus ce qui, d’abord vous débloquera un succès et ça c’est plutôt cool, mais surtout empêchera votre personnage d’effectuer certaines actions pendant un laps de temps non négligeable.
Le Dark Souls du Visual Novel
Tel un Sekiro, la mort ne signifie pas le game over. En effet, on apprendra rapidement que nous contrôlons des clones, condamnés à mourir tous les 13 jours après être passés par le stade d’enfant, d’adulte, de quarantenaire puis de senior. Cependant, bien des obstacles pourront mettre fin à vos jours, qu’il s’agisse de monstres, de pièges savamment placés à l’angle d’un couloir ou plus stupidement, d’une simple allergie à la patate. Une fois réduit à l’état de poussière, il ne restera plus de nous qu’une X-key. Dans l’univers de Zanki Zero, il s’agit grosso modo d’une clé USB greffée au nombril qui contient notre conscience, nos souvenirs, bref, tout ce qui fait de nous… nous. Pour le joueur en revanche, les X-key possèdent d’autres propriétés bien plus intéressantes.
La mort n’est ici qu’une étape vers le renforcement. Afin de faire revenir à la vie les membres de votre équipe, il faudra d’abord revenir à votre base. A l’intérieur de celle-ci se trouve la fameuse borne d’arcade sus-mentionnée : l’Extend Machine. Placez-y les X-key de vos compagnons tombés au combat et paf, les voilà revenus à la vie, certes sous l’apparence d’un enfant, mais bien plus puissants et résistants qu’auparavant. En effet, chaque mort active un shigabane. Admettons que vous avez été tué par une attaque de feu d’un lézard. Eh bien désormais votre personnage résistera mieux aux lézards mais également aux attaques de feu, qu’importe l’ennemi. Il existe en tout une centaine de shigabane qui, s’ils sont pour la plupart les mêmes quel que soit le personnage, lui sont propres. En gros, plus quelqu’un meurt de différentes manières, plus il y a de chance qu’il devienne votre meilleur atout.
L’autre moyen, moins original, d’améliorer votre personnage passera par l’ajout de compétences. Extrêmement nombreuses, surtout lorsque l’on doit gérer 8 personnages dès le départ, celles-ci s’avèrent finalement assez classiques. Il sera par exemple possible d’améliorer l’attaque d’un personnage s’il est adulte ou s’il se situe au front. A l’inverse, certaines d’entre elles seront obligatoires pour cuisiner certains plats ou améliorer les bâtiments, de quoi trop rapidement oublier qui fait quoi et finir par booster des statistiques un peu au hasard, d’autant plus qu’il est assez aisé d’obtenir de l’expérience en masse sans pour autant grinder comme un dément.
L’attaque des Cliones
En fin de compte, a-t-on réellement besoin de tous ces systèmes ? Est-ce que Zanki Zero s’adresse finalement plus aux fanas de dungeon crawler, un genre tombé en désuétude il faut bien l’avouer, qu’aux gens friands de visual novel ? Après quelques combats, il faut bien reconnaître qu’on a une petite idée sur la réponse.
Après avoir constitué une équipe de 4 joyeux lurons disposés en carré, nous voilà fin prêt pour en découdre. S’il est probablement possible d’optimiser notre équipe, l’absence d’éléments clairs pour comparer leurs statistiques et compétences rapidement nous poussera généralement à « piffer ». De toute façon, les deux types placés au front risquent de pas faire long feu lors du prochain affrontement.
Ceux-ci se déroulent en temps réel, c’est-à-dire qu’il faudra s’approcher de l’ennemi pour le frapper puis attendre la fin d’un compte à rebours pour donner des coups supplémentaires. Évidemment, pendant ce laps de temps, il est conseillé de fuir pour esquiver la riposte adverse. On pourra également charger ses attaques afin de briser certaines parties du corps de l’ennemi, qu’ils s’agissent de cornes, de queues ou d’excroissances tentaculaires portant le doux nom de Clione. Il s’agit d’une mutation génétique qui a vraisemblablement condamnée l’humanité mais, par une jolie pirouette scénaristique, vous a épargné. Mieux, vous pouvez vous-même vous greffer un clione afin de bénéficier d’attaques dévastatrices ou de compétences de soutien. Plus anecdotique, certains permettent de détruire des murs pour faciliter l’exploration mais nous n’en avons eu l’utilité littéralement qu’une seule fois.
Le souci, c’est que la première moitié du jeu offre si peu d’ennemis, particulièrement lents par dessus le marché, que chaque affrontement se transforme en une étrange danse où l’on essaie constamment de se situer dans le dos de son adversaire, tout ça pour mettre un coup toutes les dix secondes. Pour ne rien arranger, certains adversaires sont de véritables sacs à PV qui tueront en un ou deux coups nos personnages. Bref, c’est long, ennuyant et punitif. La seconde moitié du jeu en revanche se réveille soudainement et nous envoie parfois des vagues d’ennemis en pleine face dans d’étroits couloirs histoire de réduire à néant notre équipe et toute notion de courbe de difficulté.
Il manque cette folie, celle qui caractérise les meilleurs jeux du genre.
On ne doute pas que certains y trouveront leur compte étant donné le peu de jeux du genre. Les autres (pour ne pas dire la majorité) qui sont passés à la caisse pour l’histoire ne se feront pas prier pour baisser la difficulté. L’édition occidentale bénéficie par ailleurs d’une option supplémentaire qui supprime pour ainsi dire l’intégralité des ennemis et des pièges et même toute notion de survie. A l’inverse les acharnés qui souhaitent un challenge à leur mesure auront le droit à des taux de drops plus élevés et auront accès à une plus grande variété de cliones pour faire face à l’adversité. Dans tous les cas, un simple passage par les options intégrées à l’Extend Machine permettra de faire ces changements à la volée.
Le Mépris (1963)
On reproche souvent aux visual novel de proposer trop peu d’interactions mais est-ce pour autant une bonne idée d’imposer de longues séquences de gameplay ? Si Persona semble avoir trouvé l’équilibre parfait en procurant divers bonus pour peu que l’on joue le jeu de faire copain-copain à droite à gauche, Zanki Zero de son côté a tendance à trop séparer ses mécaniques. Telle une pièce il est impossible d’observer les deux côtés en même temps. Et pourtant, Zanki Zero possède dans sa narration quelques brillantes idées.
Nos 8 protagonistes sont affublés d’un péché capital : paresse, colère, orgueil, gourmandise, envie, luxure et cupidité. La petite dernière du lot, Sachika (qui au passage ne vieillit pas) est elle considérée comme le péché originel. Le jeu nous amènera à explorer 8 ruines, chacune plus ou moins liée au passé d’un personnage, qu’il s’agisse d’un centre commercial ou d’une école. Partant de ce constat, chaque chapitre se fera dans la peau d’un survivant différent, nous donnant ainsi un accès privilégié à ses pensées. L’occasion pour le joueur de découvrir quelques twists “en avant première” et sans crier au génie du film Reservoir Dogs, on reste dans une démarche assez proche. Qui plus est, les auteurs sont restés conscients que le joueur allait déduire des vérités avant le “jeu” et en profitent pour jouer là-dessus. Soit en nous plaçant du point de vu du bon personnage, soit en ne faisant tout simplement pas traîner plus que nécessaire la situation.
Malheureusement, il faudra bien faire attention à ne pas sauter une ligne de dialogue puisqu’il n’existe pas de backlog, fonction pourtant indispensable à tout VN qui se respecte et qui permet de relire jusqu’à plusieurs dizaines voire centaines de lignes de texte. Cela est d’autant plus surprenant qu’au terme du chapitre 5, il sera possible de revivre n’importe quel passage écrit du jeu grâce à une galerie intégrée à l’Extend Machine. Et pour qui voudra débloquer scènes secrètes et sacro-saints CG (les jolis artworks), il faudra fouiner les zones déjà visitées et farmer les nuits à l’hôtel pour faire grimper vos liens sociaux. Quand il ne sera pas nécessaire de revenir plusieurs fois au même endroit car les conditions pour les évènements n’étaient pas réunies (X personnes adultes, tel perso qui doit être enfant, etc).
Il est d’ailleurs de bon ton de rappeler que cette version occidentale de Zanki Zero a été “censurée”. Si les twittos se font une joie de rappeler à Spike Chunsoft qu’ils n’achèteront pas un jeu dans lequel on ne voit pas la culotte d’une mineure, dans les faits les corrections apportées sont au pire invisibles et au mieux bienvenues. De toute façon, c’est déjà assez compliqué de voir un “bedtime event”, on ne se plaindra donc pas de la disparition des “child bedtime event” qui offrait le même genre de fan service discutable, mais avec des enfants.
Zanki Zero de conduite ?
Alors oui, c’est bien beau de se faire des câlins en toute amitié bien sûr le soir venu mais il ne faudrait pas oublier pourquoi on est là : pour découvrir comment le monde a été détruit et pourquoi il ne reste que 8 humains en vie. Pour y parvenir nos îliens devront retrouver des morceaux de l’Extend Machine afin de mettre fin au vieillissement accéléré des clones et de permettre, accessoirement, de procréer. Et si les corps des héros seront mis à rude épreuve lors des phases de dungeon crawler dont on a déjà bien parlé, leur mental devra faire face à une cruelle vérité : celle de leur passé.
En effet chaque donjon sera parsemé de télévisions qui diffuseront des extraits de la vie de chaque protagoniste. Et ils ont vraiment eu une vie pourrie. Présentées sous forme de “romans photos” avec des silhouettes noires arborant un élément spécifique pour les différencier (une cravate jaune, une écharpe rouge, etc), ces séquences abordent des sujets graves comme l’inceste, l’adultère ou encore la pédophilie. Évidemment, il n’y a rien de visuellement explicite et si au début on éprouvera de l’empathie, la surenchère de drama finira par faire passer ces backstories pour des clichés de soap opera. Qui plus est, ces histoires ne sont qu’un prétexte pour justifier un boss et ne font pas franchement avancer le scénario, avec quelques passages à vide, notamment passé le chapitre 4. Pire, si il sera obligatoire d’avoir toute la team sur pied pour ouvrir la porte du boss, la plupart des cinématiques ne feront pas la différence entre personnages morts et vivants et tout le monde sera en pleine forme pour dialoguer. Au moins tout le monde pourra expérimenter la même histoire mais l’existence d’une telle dissonance ludo-narrative reste dommageable.
On finit néanmoins par s’attacher à ces 8 compagnons de galère, à force de les voir naître, vieillir et mourir en boucle, d’autant plus que les animations, le chara design et le doublage japonais (disponible aussi en anglais mais vraiment, qui fait ça) constituent le haut du panier des VN. Mais voilà, il manque cette folie, celle qui caractérise les meilleurs jeux du genre. L’Extend TV passe souvent pour un Monokuma Theater du pauvre, les expressions de stupeur des personnages font pâles figures face aux fameux breakdowns d’Ace Attorney et les thématiques SF abordées restent bien sages quand on les compare à celles d’un Zero Escape. Et à l’augure de sa conclusion, Zanki Zero se permet même quelques grosses facilités. Deus Ex Machina, TGCM, puissance de l’amour et de l’amitié sans oublier l’indispensable “on se croirait dans un jeu vidéo”, tout y est. L’époque de Danganronpa et de ses conclusions injustes et déchirantes est révolue. Il faut néanmoins savoir reconnaître que lorsqu’il s’agit de justifier la présence de ces 8 malchanceux sur Garage Island, Zanki Zero a le sens de la mise en scène. C’est d’ailleurs dans ses derniers chapitres qu’il se permet quelques fulgurances, en accueillant au travers de flashbacks un des personnages les plus loufoques du genre, de ceux qui auraient eu leur place dans les références sus-citées. De quoi consoler ceux qui attendaient peut-être trop de Zanki Zero.
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