The Witness est d’abord annoncé en 2009 et se veut comme une relecture, à l’image de braid avec Super Mario Bros, du mythique jeu d’aventure Myst. Si le développement avance vite au point où Blow annonce en 2011 une version déjà jouable, il annonce une sortie pour 2013, à l’occasion de la sortie de la PlayStation 4. Si le cœur est plutôt en place et les énigmes conçues, le problème est ailleurs : L’univers visuel ne plaît pas à Blow. Il décide en 2012 de recruter Luis Antonio, ex-directeur artistique chez Rockstar et Ubisoft, dans le but de reconstruire l’univers visuel de son jeu. Il peut ainsi suivre la vision de Blow pour proposer un univers en cohérence avec son game design et sa vision artistique de son île aux énigmes.
En parallèle, Blow se concentre sur l’histoire qu’il veut raconter et la narration à adapter. Il pense tout d’abord à la raconter à travers des fichiers audio à retrouver, à l’instar d’un Bioshock. Il décide néanmoins d’opérer un virage à 180° et épure totalement son scénario pour proposer une « non-narration », où le joueur suit une introspection à travers son expérience personnelle.
Premier contact avec le jeu
Ma première session avec le jeu m’a laissé entre deux sentiments : d’un coté un enthousiasme certain pour le jeu, une intelligence dans le game design et level design, un univers plutôt joli ; mais de l’autre une lourdeur dans les déplacements et un lourd sentiment de frustration envers soi et son joueur.
Si le level design et le game design paraissent intelligents, c’est qu’il arrive à entrevoir nos actions : on se retrouve bloqué sur un puzzle et l’on pense avancer pour revenir plus tard et là, on se retrouve sur des puzzles expliquant les mécaniques du puzzle où nous étions précédemment bloqué. Cette idée tient du génie, car il nous montre une vision totalement différente de l’échec dans un jeu vidéo. Si le try and error est de plus en plus présent dans le jeu vidéo, avec en tête les excellentes productions de From Software, The Witness quant à lui nous propose d’avancer dans le jeu pour que ce ne soit pas nos efforts, mais notre réflexion qui soit récompensée.
The Witness propose un game design sans précédent
Le jeu peut s’avérer d’un autre coté très agaçant. Effectivement, s’il nous demande de nous perdre sur l’île, c’est au premier abord dans le but de tomber aléatoirement devant un endroit dit « tutoriel » où l’on apprend une nouvelle mécanique de puzzle. Le problème ici vient du fait qu’en donnant une liberté totale au joueur, on nous bloque dans un chemin à suivre obligatoire pour avancer et si on ne tombe pas sur le bon endroit, on se retrouve a enchaîner les aller-retours. Il existe bien la solution du bateau que l’on peut découvrir, permettant de voyager dans différentes zones de l’île, mais certaines zones ne sont débloquées que à pied, et rendant ainsi le bateau inutile sur la moitié de la carte ! Malgré cette expérience, on se lance tout de même dans une seconde partie, en essayant le plus de se libérer des automatismes que l’on aurait en jouant à un jeu, et bingo !
Le soft se dévoile ainsi petit à petit, au fur et à mesure que l’on décide d’accepter ce qu’il est réellement : un jeu n’étant pas une simple suite de puzzles plus ou moins difficiles, mais un titre d’exploration où le puzzle est une récompense en elle-même. On découvre dans chaque zone de l’île de nouvelles idées, nous demandant d’apprendre, de comprendre et d’accepter les règles. C’est à ce moment que l’on comprend la pertinence de l’univers graphique, là où Talos Principe ne faisait que nous proposer des puzzles simples et identiques ; il nous faudra ici se familiariser avec les éléments d’un lieu pour résoudre certains mystères : le chemin que construit une branche, la place de la mousse dans un labyrinthe, le bruit de nos pas…
Et si la patte graphique attire au premier coup d’œil, il va autant servir que desservir le jeu d’après moi. Elle va d’abord servir le titre, par son intelligence et sa cohérence avec le game design, permettant ainsi de par son coté épuré de se focaliser sur les énigmes. C’est cet univers visuel permettant ainsi au jeu de prendre toute sa profondeur car il laisse la totale expression au game et level design. Mais cet univers visuel, aussi charmant qu’il soit, va tromper une grosse partie des potentiels acheteurs du jeu car la mouvance actuelle est à un épurage visuel, on se retrouve avec une pléthore de jeux indépendants utilisant une patte similaire (l’excellent Firewatch et The Long Dark en tête). Le problème étant que The Witness n’est pas un jeu accessible, il est même à la limite de l’élitisme. C’est une première dans le jeu vidéo, et c’est ici que nous avons la preuve que le jeu vidéo est devenu un vrai art.
The Witness, Une œuvre avant-gardiste ?
On qualifie un média culturel comme art à partir du moment où l’on peut diviser ce média en deux parties : ce qui est accepté et compris par le grand public, et l’avant garde, plus élitiste. The Witness peut ainsi être considéré comme une œuvre avant-gardiste, à l’instar d’un The Beginner’s Guide, une œuvre qu’on ne peut aborder comme n’importe quel autre jeu. Johnathan Blow nous demande de nous investir, de rentrer dans ce jeu, d’abandonner tous nos acquis et nous laisser porter par une expérience nouvelle. La narration, au premier abord totalement absente du jeu, se retrouve de façon originale dans l’esthétique, dans la logique des puzzles. Ainsi, Blow nous interroge donc sur notre rôle de joueur dans notre quotidien et nous propose une réelle réflexion sur le jeu vidéo en général.
On peut ainsi donc parler d’une réelle œuvre d’art car Blow se met en avant en tant qu’artiste, nous proposant une version personnelle du jeu vidéo et ce qu’il implique, en détournant les règles et conventions pour proposer. Ce qu’on pourrait regretter, c’est la difficulté d’accès du jeu pour le joueur lambda, qui, par son manque d’expérience dans le genre et dans le jeu vidéo, sera juste perdu.
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