Thin Air : Présentation et avis sur le roman de chez Bragelonne
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Rédigé par Nathan Champion
Auteur de Science-Fiction désormais célèbre, Richard Morgan s’est fait connaître avec ses univers sombres et dystopiques sur lesquels K. Dick n’aurait pas craché. C’est avec un certain Altered Carbon qu’il débute sa carrière, en 2002. Roman d’anticipation plongeant le lecteur dans un monde cyberpunk fascinant, avec une grosse influence du polar comme fil rouge. L’œuvre sera par la suite adaptée en série sur la plateforme Netflix, permettant à Morgan de gagner encore en popularité.
Plus récemment, en 2018, l’auteur nous revenait avec Thin Air, ouvrage comportant de nombreuses similitudes avec Altered Carbon. Au delà de son contexte futuriste et dystopique, il s’agit une nouvelle fois d’une enquête pleine de rebondissements, mettant en scène un personnage au caractère fort. S’agit-il pourtant d’une redite ? C’est ce que nous allons tâcher de voir dans ces lignes, après avoir dévoré l’édition poche aux éditions Bragelonne.
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ToggleÀ grand auteur, grands ouvrages
On ne devient pas une référence dans un milieu sur un simple coup de chance. Et s’il faut bien reconnaître que Richard Morgan a connu une célébrité étonnante après un unique roman, il ne s’est ensuite pas reposé sur ses acquis pour autant. Contrairement à d’autres, comme Dmitry Glokhovsky à qui l’on doit Metro 2033, mais nous nous égarons. Certes, Altered Carbon et ses suites sont de petites pépites dans le milieu de la Science-Fiction, très inspirées par le film Blade Runner (plus que par la nouvelle de K. Dick d’ailleurs), mais ce que l’auteur a publié par la suite mérite aussi le coup d’œil. Ce qui est aussi valable pour Black Man, roman de 2007 prenant place dans le même univers que Thin Air.
Au delà de leur univers, et du fait que les deux romans nous propulsent sur une planète Mars colonisée par l’humanité avec des moyens technologiques dont Elon Musk lui-même n’est pas capable de rêver, les deux romans intègrent plusieurs similitudes. Avant toute chose, le transhumanisme est une nouvelle fois de la partie, et semble définitivement coller à la peau de Richard Morgan, qui doit avoir ce thème à cœur depuis Altered Carbon. On trouve ainsi des hommes génétiquement modifiés, et d’autres ayant connu de véritables augmentations cybernétiques, d’une manière qui pourrait rappeler Deus Ex : Human Revolution par exemple.
Par ailleurs, bien que Black Man le cachait plus ou moins derrière certains artifices, les deux ouvrages partagent un goût pour l’enquête. Mais, à la manière d’un Sherlock Holmes, ne vous attendez pas à pouvoir délier les pistes par vous-même en parcourant leurs intrigues. Morgan distyle avec une certaine justesse les informations importantes au cours de ses récits, de sorte que l’on ne s’enfonce jamais trop dans la psyché de ses protagonistes. Ainsi, concernant Thin Air, on évolue au même rythme que les yeux de Hakan Veil, ce qui ne nous empêche pas de lire ses pensées, le roman étant écrit à la première personne. Comprenez par là que ce protagoniste nous narrant son périple conserve malgré tout une bonne part de mystère.
Premier point qui rappellera de bons souvenirs aux amoureux du film Blade Runner de Ridley Scott, qui trouveront ici un personnage fort, n’ayant pas peur d’en découdre, et ne cachant nullement son goût pour la chair féminine. En somme, un protagoniste viril comme on n’en fait plus, mais dont les longs métrages d’action des années 80 étaient remplis. On pourrait aussi citer cet univers nébuleux, difficile à cerner, malgré les nombreuses ramifications abordées par Hakan Veil au cours du récit. On en apprend beaucoup, certes, et il est d’ailleurs difficile de tout suivre, mais il nous manque certaines clés essentielles. Ce qui peut dérouter, certes, mais ne choquera aucun lecteur de Science-Fiction aguerri.
Enquête à 60 millions de km de la Terre
Comme Black Man il y a une quinzaine d’années, Thin Air joue beaucoup sur le fait que la colonisation du système solaire par l’humanité ne semble pas avoir apporté que du bon. Certes, de grosses entreprises se sont enrichies en envoyant des hommes, des femmes, et de l’équipement jusqu’à la ceinture de Kuiper. Et continuent de le faire en permettant des voyages stellaires ou en ravitaillant certaines colonies par exemple.
Néanmoins, à en croire les dires de Hakan Veil, né sur Terre, la vie sur Mars est détestable. Quiconque aurait connu la pluie, le vent, les nuages ou encore la mer ne peut que se sentir mal à l’aise sur ce monde à la gravité faible. Et il semble en aller de même sur les autres colonies, puisque l’homme n’a pas trouvé de moyen miracle pour rendre véritablement vivables les habitats extraterrestres.
Malheureusement pour lui, cet ancien nettoyeur (comprenez agent de sécurité dans des voyages stellaires) au service d’une grande entreprise n’a plus aucun moyen de quitter ce trou à rat qu’est Mars. Lâché sur la planète rouge après avoir commis un impair professionnel qui aurait pu lui coûter définitivement sa liberté (ou la vie), il vivote désormais en faisant la seule chose qu’il connaît : faire taire définitivement d’autres êtres humains. Une activité qui semble florissante sur cette colonie, où plusieurs factions se disputent certains quartiers ou commerces.
Après avoir éliminé un patron de bar, ce véritable anti-héros se retrouve en prison. Pour en sortir plus vite, mais aussi parce que les preuves à son encontre semblent manquer, on lui propose un marché : s’occuper de la surveillance d’une personnalité débarquant de la Terre dans le cadre d’un audit. Une mission semblant plutôt simple, sur laquelle saute bien évidemment Veil, sans se douter une seconde de ce qui l’attend : une véritable course contre la montre qui mettra à rude épreuve ses talents d’assassin, de détective, et sa libido semblant définitivement disproportionnée.
Ce que l’on retient de Thin Air, c’est avant tout son protagoniste. Parfois détestable, souvent attachant, d’autres fois incompréhensible, Hakan Veil demeure une personnalité étonnamment forte, portant avec brio le récit, lui offrant plus de consistance. Qu’on apprécie ou non ce côté très décomplexé du héros de film d’action des années 80, on ne peut que saluer la prouesse d’écriture quant à sa personnalité. Veil est un protagoniste tangible, dans un monde que Richard Morgan rend tout aussi crédible grâce à une cohérence plutôt surprenante là encore.
Quant à la plus grande qualité de ce récit, c’est bien son rythme. Au même titre que Arkane de Pierre Bordage, dont nous vous parlions il y a quelques semaines, Thin Air est une véritable course contre la montre, ne lésinant pas sur la violence et l’hémoglobine. La comparaison s’arrête néanmoins là, puisque le roman de Richard Morgan est beaucoup plus mature et sombre, se fermant d’emblée aux plus jeunes. Comme pour beaucoup d’autres romans de SF, en un sens, ou pour la série Altered Carbon, il vaut mieux être un lecteur averti avant de se lancer dans cette œuvre qui ne fait pas dans la dentelle. Ce qui vaut autant pour sa violence que pour sa propension à parler ouvertement de sexe, et pas forcément d’une manière très élégante.
Thin Air est un roman cru, qui rappellera par moments les termes et tournures de phrases d’un Charles Bukowski, ou d’un Philip Kindred Dick dans Substance Mort. Ce qui lui confère une certaine légèreté, malgré son propos lourd de sens ainsi que son aspect sombre et violent. En cela, si vous êtes allergique à l’auteur des Contes de la Folie Ordinaire, ou de Women, vous feriez mieux de passer votre chemin. Mais si ce n’est pas le cas, vous tenez ici un roman de Science-Fiction captivant, dont le dernier tiers s’étire peut-être un brin en longueur, mais dont les révélations finales sont très bien dosées. On aurait peut-être aimé une fin différente, il est vrai, mais fallait-il vraiment s’attendre à autre chose ? Difficile d’en dire plus sans en dire trop !
Faut-il craquer pour Thin Air ?
On aimerait vous parler plus en profondeur de l’histoire sombre et parfaitement rythmée de Thin Air, dont le personnage principal constitue l’un des plus gros intérêts. Mais ce serait risquer d’en dire trop, de dévoiler quelques tenants qui vous gâcheraient le plaisir de la découverte. Recommandons nous ce roman aux lecteurs de Science-Fiction ? Bien sûr ! À condition que ceux-ci n’aient pas froid aux yeux, que la littérature un brin édulcorée de ces vingt dernières années ne soit pas leur seul point de comparaison. Parce que tout comme dans ses précédentes œuvres, Richard Morgan n’est pas tendre dans ce roman teinté d’hémoglobine, de critique non envahissante de la société humaine, mais aussi d’une sexualité dévergondée assumée (chose à laquelle Bragelonne nous habitue de plus en plus).
Thin Air n’est pas une bouffée d’air frais dans le monde de la SF, ni au sein de la bibliographie de son auteur. Celui-ci récite ses gammes, affinant son style encore un peu, faisant ce qu’il sait faire de mieux sans trop se reposer sur les acquis de ses premiers ouvrages. Ni trop long, ni trop court, pourvu de chapitres se terminant rapidement et jouant habilement avec le suspens, le dernier roman de Richard Morgan plaira à tous ceux qui ont apprécié ses précédents travaux, ainsi qu’aux amoureux de la Science-Fiction décomplexée à la Philip K. Dick, ou encore aux lecteurs que la plume crue d’un Bukowski fait sourire. En tout cas, nous avons adoré !
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