Twinsen’s Little Big Adventure Remastered : Notre interview avec Benoît Limare, co-fondateur du studio [2.21]
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Rédigé par Julien Blary
L’annonce de Twinsen’s Little Big Adventure Remastered a secoué énormément de fans nostalgiques qui ont découvert les titres d’ Adeline Software dans les années 90. Ces jeux mythiques reviendront bientôt grâce au studio français [2.21]. Nous avons pu leur poser quelques questions sur ce projet ambitieux.
A l’occasion de l’AG French Direct, nous avons eu l’opportunité de poser quelques questions à Benoît Limare au cours d’une interview. Il est le CEO du studio 2.21 et la personne qui est à l’origine du rachat de la licence. Nous avons pu en apprendre un peu plus sur les nouveautés attendues, comment s’est déroulé ce retour, mais aussi quelques anecdotes bien sympathiques.
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ToggleLe début d’une grande aventure
- Tout d’abord, merci pour cette interview ! Pouvez-vous rapidement vous présenter, qui êtes-vous et quel est votre rôle sur le jeu ?
Enchanté, moi c’est Benoît, j’ai 34 ans et je suis le co-fondateur du studio [2.21]. Je suis à l’origine du rachat de la licence et de toute cette aventure.
- Justement, comment s’est passé le rachat ?
Eh bien, c’est assez simple. Je suis entrepreneur et j’avais déjà créé plusieurs boîtes avant. Et là, je me suis dit, je vais lancer une nouvelle boîte et j’avais très envie de créer un studio de jeu vidéo, de créer des licences sur le long terme. Et je me suis dit que c’était finalement vachement dur à faire. « Et si j’essayais de m’appuyer sur une licence existante ? ».
Donc hyper naturellement, je suis allé vers LBA (Little Big Adventure). C’était vraiment un jeu de cœur pour moi, surtout LBA 2 à l’époque. J’avais 8 ans et je me suis fait un de mes meilleurs potes d’enfance grâce à la série. Mes frères jouaient mais moi, je n’avais pas le droit de jouer parce que j’étais le petit dernier *rires*. Et là, il y a un mec de ma classe que je ne connaissais à peine, qui a dit « Hey les gars, est-ce que quelqu’un connaît LBA ? ».
J’ai répondu que je connaissais LBA et j’ai plus joué chez lui que chez moi, parce que je ne pouvais pas y jouer. A l’époque, on avait qu’un seul ordinateur – c’était déjà cool d’en avoir un – et c’est le plus grand qui décide. Les petits derniers, ils ne font rien ! C’était chacun son retour – et c’était rarement mon tour (sauf quand il était question de farm Final Fantasy 7 pour farmer l’XP). J’ai commencé par Little Big Adventure 2 et ça m’a beaucoup marqué. Je me souviens qu’on « inventait » LBA 3 avec des potes, on se demandait qu’est-ce qu’on pourrait faire avec et on s’amusait à le faire sur Paint. C’était vraiment pas beau *rires*.
Et je me suis dit « mais en fait, pourquoi il n’y a pas de LBA 3 ? ». J’ai commencé à creuser et je me suis rendu compte que la licence avait été rachetée par Didier, qui est l’un des créateurs des jeux d’origine et qui a racheté la licence à Adeline Software. J’ai commencé à bosser sur un plan, j’ai trouvé son mail, je lui ai proposé, je l’ai appelé et puis neuf mois plus tard, il était convaincu. Puis j’ai monté l’équipe et c’est parti ! Le mail était fin 2020, on a créé la boîte en août 2021 et Didier est dans la boîte, c’est l’un des fondateurs.
- Combien êtes-vous actuellement à travailler au sein du projet ?
Là on est neuf. Sept français et deux brésiliens. C’est un mix entre des personnes qui étaient fans du jeu d’origine, d’autres qui n’étaient pas fans. Pour moi, c’était important d’avoir un mélange puis l’enjeu est d’aller au-delà des fans et avoir un regard critique. En tant que fan – je suis fan – c’est toujours difficile. Il y a des trucs qu’on trouve géniaux et puis en fait, c’est pourri, 30 ans plus tard.
- Justement, à l’époque LBA était novateur en termes de game design. Le système et l’ergonomie sont représentatifs de l’époque mais tout cela a fort évolué. Quel est pour vous le plus gros challenge de porter un tel titre dans une nouvelle ère ?
Pour la petite histoire, on a d’abord commencé à bosser sur un LBA3, un vrai reboot. On sait vraiment où on veut aller en termes de future licence. Et on s’est quand même rendu compte que pour arriver à financer ça, c’est tout de même l’enjeu, il faut arriver à prouver que la licence a un intérêt. Et c’est pour ça que l’on passe par un remaster, c’est un peu le passage obligé.
Dans le remaster, il y a des choses qu’on va forcément changer parce que aujourd’hui c’est injouable. Même pour des fans, tu leur mets le jeu aujourd’hui, ils galèrent. Déjà sortir de la prison : tu joues au clavier, c’est ultra précis, ultra-dur et dès que tu te fais avoir, tu recommences au début. Des gens comprennent pas : « je meurs, je recommence au début ? » Non non, tu es revenu en prison, tu peux ressortir.
Le jeu est quand même assez punitif, donc l’idée est de proposer deux modes de jeu. Un qui est celui d’origine, donc assez punitif avec les prisons et de proposer un mode – qui n’a pas encore de nom, peut-être mode histoire, qui soit plus adapté pour des nouveaux joueurs. Un peu moins difficile.
Et surtout, il y avait un truc qui était unique, c’était le changement de comportement. Tu pouvais te mettre en normal, sportif, agressif ou discret et ça changeait en fait ta manière de de bouger. L’idée est quand-même de faire ça de manière dynamique, soit à la manette ou au clavier.
Oui, on veut moderniser un peu tout ça et il y a un gros enjeu de modernisation du gameplay. Il y a un enjeu aujourd’hui d’aider le joueur : à l’époque, tu pouvais rester bloquer 2 heures sur LBA sans savoir quoi faire. Je pense notamment la quête pour trouver le vendeur de sèche-cheveux. L’idée est donc de proposer des options – qui ne sont donc pas activées par des défauts – avec un peu d’aide pour rester moins bloqué.
En 1994, tu achetais un jeu par an, tu le ponçais parce que tu n’avais que ça comme jeu. Aujourd’hui, il y a plus de jeux, il y a le Game Pass et d’autres choses, notre façon de consommer est différente. Maintenant, si tu es bloqué 15 minutes, tu arrêtes. On rendra le jeu plus accessible. On avait également une particularité à l’époque : la caméra, elle ne suivait pas Twinsen. Elle était fixe et se déplaçait scène par scène. Elle se reload à chaque fois (ou à la main) et cette fois, elle suivra Twinsen. Cela changera la façon de penser et pour nous, c’est un changement important dans l’approche.
Le but est à la fois de pouvoir satisfaire les fans d’origine mais surtout, d’être jouable sur consoles et de façon agréable. Le plus dur est de trouver un vrai équilibre. Il restait aussi l’enjeu de la direction artistique, qui était très carrée et métallique à l’époque. Il faisait partie des premiers jeux qui avaient 256 couleurs et pour les gens, c’était vraiment très coloré. Aujourd’hui… Bah il y avait 256 couleurs ! *rires*.
Par rapport aux standards de maintenant, ça n’a pas l’air très coloré. Comment recréer ce sentiment-là, par rapport à la concurrence, cette rondeur, sans tomber dans un Zelda. C’est vrai que c’est très compliqué et la direction artistique, je pense qu’il va falloir la faire de manière un peu évolutive et tester des choses avec les retours des fans. On veut vraiment impliquer des gens, fans ou non fans pour s’assurer que l’on va dans la bonne direction. C’est un autre gros enjeu.
Des précisions sur le remaster
- Quels sont les plus grosses contraintes techniques ?
On essaie de faire des trucs : on développe une espèce de moulinette qui va exporter le jeu d’origine pour le mettre dans l’Unreal Engine. L’idée n’est pas de partir du code de base et de faire une surcouche, mais d’exporter automatiquement les niveaux, les routines des IA et les lieux, pour ensuite faire facilement les modifications dans un nouveau moteur. On essaye d’avoir le moins de contraintes possibles grâce à cet export, mais c’est vraiment un sujet dense, et très complexe. Cela a l’air simple comme ça, mais c’est un gros sujet.
Sinon, une autre contrainte, c’est qu’il commence à y avoir un gros écart entre la Switch et la nouvelle génération et le PC. Faire tourner sur Switch, c’est tout de même un sacré défi.
- Est-ce que la VF d’origine sera gardée, et si oui, prévoyez-vous un travail de remasterisation ?
Très bonne question ! Aujourd’hui, on a un problème, les voice over – quelles que soient les langues, sont différentes entre LBA1 et LBA2. Twinsen n’est pas le même entre les deux. Dans certaines langues en tout cas. Il y a donc un vrai sujet là-dessus et c’est encore un point d’interrogation : est-ce qu’on les garde ou est-ce qu’on les refait ?
Dans la démo que l’on veut sortir, ce sont des voice over en anglais d’origine qui ont été débruitées. L’idée est d’avoir en haute définitive les musiques et d’ajouter pas mal d’ambiance. Le bruit de la mer, il a quand même vachement vieilli. *rires*.
- Donc on aura dans tous les cas une VF dans Twinsen’s Little Big Adventure Remastered ?
Ah oui oui bien sûr, idéalement on fera même plus de langues. Beaucoup de fans nous disent que LBA était leur premier jeu avec un voice over et c’était même marquant. C’est très cher de bien le faire. Dans LBA2, à l’époque, c’était fait avec trois acteurs et il y avait quasiment deux heures de lignes de dialogue. Aujourd’hui, tu ne fais plus ça comme ça, avec une dizaine d’acteurs et c’est forcément assez cher.
- Une démo arrive bientôt, pouvez-vous nous en dire plus sur son contenu ?
Le chapitre que l’on fait, c’est l’île Proxima, où tu arrives avec le catamaran et où tu cherches des informations sur le pirate LeBorgne. Tu te rends compte que tu dois aller dans le musée et piquer des choses. Pour cela, tu dois récupérer le proto-pack, une sorte de jetpack un peu pourri. C’est un chapitre complet du jeu d’origine. On a dû simplifier deux trois trucs, mais c’est vraiment l’île Proxima.
Il y a quelques petites choses que l’on n’a pas encore modélisées, donc les Bouboules sont encore des Lapichons. Cela nous servira aussi à avoir des retours des joueurs de la « nouvelle génération » : le système de prison n’est pas présent par exemple. Il y a aussi des éléments d’origine, comme sur les animations ; ce sera cool de voir la réaction des gens. On a super hâte de voir les retours !
En termes de durée, tout dépend de si tu es doué avec le proto-pack ! Disons que les fans peuvent le faire en 10 minutes, mais sinon, environ 15 à 20 minutes. Il y aura aussi plusieurs nouveautés telles que les contrôles, plus simples et adaptées à la manette. Il y aura aussi la continuité géographique : avant c’était bloc par bloc avec des bandes noires. Ici, on essaye de réunir les blocs (comme sur Link’s Awakening) pour avoir une continuité. L’objectif de cette démo est vraiment d’avoir les retours des joueurs.
- Le jeu traite beaucoup du thème du totalitarisme avec des références de cette époque-là. Comptez-vous changer certains éléments ?
C’est une question qui est encore ouverte sur Little Big Adventure 3. A l’époque, c’était des références à l’URSS, puisque bien sûr, quand tu fais un jeu en 90, le totalitarisme, tu penses à l’URSS. Sur la version que l’on bosse pour le 3, on essaye de faire une version un peu différente, un peu plus dictature technologique qui se démarque de l’URSS. Parce que aujourd’hui, quelqu’un qui a vingt ans, il sait ce qu’est l’URSS mais ce ne sont pas les mêmes références ; cela parlait beaucoup aux enfants des années 90, moins aujourd’hui.
Pour l’instant, cela reste ouvert : c’est ce genre de discussions que l’on veut avoir avec les fans « qu’est-ce que vous en pensez ? ». Il faut aussi savoir qu’à l’époque, les bâtiments gris, très carrés, qui aident aux références à l’URSS, c’était également une contrainte technique. Ils n’étaient pas très hauts, notamment parce qu’on avait un nombre limité de cubes qu’on pouvait faire en largeur et en hauteur.
Little Big Adventure 3
- Justement, en parlant de Little Big Adventure 3, avez-vous quelques informations à partager à son sujet ?
Le concept est établi, les bases sont établies, on sait ce qui est nouveau, ce qu’on garde et ce qui est différent. Maintenant il faut trouver un moyen de le financer. Aujourd’hui, l’ambition qu’on a pour le jeu fait que l’on cherche un financement assez conséquent qui n’est pas facile à obtenir. C’est pour ça que les remasters doivent servir de tremplin pour trouver un financement pour le 3. On a établi les bases de ce qu’on voulait faire.
- Pouvez-vous nous dire quelque chose qui ferait titiller les fans pour ce Little Big Adventure 3 ?
Attention à ne pas trop en dire ! *rires* Disons… disons que la balle magique, c’est un truc cool et qu’il faut faire un truc avec la balle magique.
- Une période de sortie pour Twinsen’s Little Big Adventure Remastered ?
Nous n’avons pas de date exacte. On aimerait en mai 2024, pour les 30 ans de la licence en France. On vise le deuxième trimestre mais comme vous le savez, tout évolue toujours. Pas de date officielle, mais disons l’année 2024. Cela dépendra aussi de sur combien de consoles on sort, si ça sort en même temps ou si on décale pour sortir sur plus de console en simultanée. Pour l’instant, on vise PC et Switch.
- Avez-vous une anecdote ou une histoire insolite à raconter ? Quelque chose qui vous a marqué ou une anecdote de développement sur le jeu ?
La première réunion que je fais avec Didier, on commence à discuter de la direction artistique et là, il prend une serviette ou un bout de papier et il commence à dessiner Twinsen avec son stylo. Comme ça, « c’est simple, tu vois, c’est un œuf, tac tac » et en deux secondes, il y avait Twinsen sous mes yeux. J’étais comme un gamin !
Sinon, l’une des premières choses que l’on a faites, c’était de récupérer toutes les archives qu’ils avaient. Tout était stocké sur CD : si la maison de Didier brûlait, tout était perdu, il y avait les codes-sources et tout. On a récupéré les documents Word de l’époque avec toutes les informations et les scénarios à différents moments. On découvre les anciens noms, les personnages, les planètes, les races… C’était un bonheur de dingue de lire tout ça.
On a appris que Twinsen, ce n’était pas Twinsen à la base mais Twinkle, ce qui n’allait pas (Ndlr : proche de Tinker Bell de Disney, qui veut dire Clochette en français). On a découvert pas mal de petits trucs comme ça, comme un bout de l’histoire où le côté élu était vachement poussé : Twinsen était par exemple le septième fils du septième fils et ça faisait un truc spécial. Bref, il y avait plein de choses qu’on découvre dans les archives qu’on essaye de décortiquer pour donner à la communauté. Ce qui est super rigolo, c’est que quand tu en parles à Didier et à Fred, qui étaient créateurs à l’époque, ils ne s’en souviennent pas.
Un autre truc rigolo, c’est que dans le dessin d’origine de Twinsen, il avait un très gros nez. Et ça, ça a été gardé dans les statues qu’il y a dans le jeu, dans un temple notamment. En fait, c’est le Twinsen première version ! On découvre des choses comme ça assez régulièrement !
L’une des anecdotes qui m’a le plus marqué, c’est que j’ai appris qu’il y avait beaucoup de choix qui ont été faits – que je pensais être des choix super réfléchis pour le lore, mais qui ont finalement été faits à cause de contraintes techniques. Techniquement, en 94, faire un jeu était super dur. Par exemple, le fait qu’il y ait deux soleils, c’est parce qu’ils ne voulaient pas gérer le cycle jour-nuit en fait !
Ils se sont dits « Gérer la nuit, c’est compliqué ! Bah en fait on va faire deux soleils qui vont éclairer les deux pôles et comme cela, on ne devra pas gérer la nuit ! » Et c’est finalement devenu un élément de lore. Même chose pour la couette de Twinsen, qui est dans la même logique que le chapeau de Link, puisqu’en vue isométrique, on veut savoir dans quelle direction on va.
En 94, c’était des techniciens et ils partent de la technique pour créer du lore alors qu’aujourd’hui, quand tu fais un jeu, tu fais l’inverse. Pour moi, ce sont des bonbons ! C’est hyper intéressant quand tu es fan, on découvre des trucs toutes les semaines.
- Un mot pour la fin ?
On a quelque chose de très tôt dans le développement, avec une démo qui arrive rapidement, en juin. Ce qu’il faut comprendre dans notre démarche, c’est que l’on veut créer avec les fans. On aime quand les gens donnent des feedbacks – constructifs bien sûr – pour que l’on avance. Je lis énormément les feedbacks – sur Discord, sur notre blog etc.. On ne garde pas tout mais j’essaye de lire 100% de ce qui est écrit. C’est important pour nous.
Nous remercions Benoît d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Pour rappel, nous avons diffusé le dernier trailer en date du jeu qui confirme d’ailleurs une sortie sur Nintendo Switch en plus du PC.
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Date de sortie : 14/11/2024